Je vais vous parler de la trilogie qui n’a pas de nom, de Kim Stanley Robinson. La série sur le changement climatique:
- Les 40 signes de la pluie (2004)
- 50° au-dessous de zéro (2005)
- 60 jours et après (2007)
Pour situer les choses, Kim Stanley Robinson, c’est l’auteur de la Trilogie de Mars, de la science fiction écrite dans les années 90 qui raconte le peuplement de la planète Mars, les luttes des premiers colons contre la nature hostile, contre le gouvernement terrien aux visées impériales, contre les totalitarismes politiques ou économiques qui voudraient dominer cette nouvelle société.
C’est une de mes œuvres favorites, un plaidoyer humaniste, écologiste et scientiste, qui a su mâtiner ces thèmes d’un vernis épique qui permettait de rendre les centaines de pages non seulement intéressantes par les sujets traités, mais également captivantes par l’histoire racontée. C’était un conte, pour grands enfants, dont la fonction est de faire réfléchir, mais en prenant un pied intersidéral interplanétaire en le lisant.
Pour moi, Robinson était donc l’écrivain dont je pouvais acheter un livre dont l’épaisseur ne constituerait pas une crainte de lassitude, mais une promesse de plaisir durable.
Je me suis donc jeté dans la trilogie du Climat (ce n’est pas son nom, mais je le trouve adapté), les doigts fébriles et les yeux gourmands.
Je l’ai refermée quelques mois plus tard avec la sensation de l’effort accompli. Un effort équivalent à celui qui consiste à aller saluer sa grand-tante, en sachant que ce sera une après-midi d’ennui, mais qu’on lui doit bien ça, car elle nous a beaucoup gâtés autrefois.
Car mon sentiment en lisant Le Climat, ce fut ça: l’impression de devoir aller jusqu’au bout, pour saluer le travail de l’auteur. Mais pas ce travail-là.
Ce sont des reproches que je vais lui faire ici, et ça me pèse.
Ca me pèse d’abord parce que j’adore l’auteur de Mars, pour Mars.
Ca me pèse ensuite parce que j’adhère à la plupart des causes qu’il défend, et qu’il avait défendues avec brio dans Mars: l’importance de l’écologie, de la démocratie, de l’équité entre les hommes, la puissance de la science et sa capacité à faire de la Terre un endroit meilleur pour elle-même et pour chacun.
Il a choisi de traiter ces thèmes, les mêmes que dans Mars, dans notre monde actuel. Le changement climatique a franchi un cap, à cause du réchauffement global, entrainant un arrêt du Gulf Stream, ce qui produit une modification mortellement radicale de la météo: un froid paralysant gèle Washington et les USA, entrainant des pannes électriques, des morts par centaines, et un début de prise de conscience de la population.
Par la suite, l’été brulant fait fondre les glaces polaires, ce qui génère des inondations formidables, à Washington encore, épicentre du roman, mais également dans le monde entier, en particulier au Kembalung, sorte de Bangladesh miniature peuplé de dissidents issus d’un schisme du bouddhisme qui ne reconnaissent pas le Dalaï Lama. Perdant leur pays, ils viennent s’installer à Washington, où ils rencontrent les Quibler, un couple de scientifiques, dont elle bosse à la NSF (National Science Foundation), agence fédérale en charge du financement et du pilotage des politiques de recherche scientifique. Son mari est conseiller d’un membre iconoclaste du Congrès, qui épousera la cause écologiste au moment de se présenter à la présidence des Etats-Unis.
Ensemble, en exploitant leurs différentes possibilités professionnelles et leurs réseaux personnels, ils vont mettre en place une réponse à ce changement climatique, en poussant les recherches qui peuvent aider à répondre au problème, en mettant en œuvre des travaux titanesques qui font écho à la terraformation de Mars, et en s’opposant à l’inertie volontaire des forces, en particulier économiques, qui pensent que le statu quo est préférable aux formidables dépenses engagées. Mais c’est un New Deal qui nous est promis, et qui s’accompagne forcément de retombées positives.
A vrai dire, je crois qu’il aurait été possible de s’en tenir à ça pour construire une histoire. Mais Robinson a peut-être un défaut: il lui faut pléthore de personnages. Et quand vous en avez des palanquées, il faut bien leur trouver des intrigues pour les occuper.
Dans Mars, ça allait dans le sens de l’histoire, car il s’agissait d’un suivi exhaustif des cent premiers colons, on connaissait leur destinée pendant les décennies suivant leur arrivée, leurs opinions et leurs actions. Il y avait à faire, pour construire cette planète. Tant de choses à découvrir et à créer, qu’ils ne s’ennuyaient jamais. Pas plus que le lecteur omniscient qui les observait, n’ignorant rien de ce qui se passait à la surface de la planète de moins en moins rouge.
Dans la trilogie du Climat, ce schéma est reproduit, mais il s’agit à mon sens de l’erreur originelle.
Car les héros que j’ai décrits ne sont en fait que les personnages secondaires. Le personnage principal, Franck, s’est égaré dans ces pages.
Scientifique de la NSF issu de l’université de San Diego, c’est un névrosé à la limite de la schizophrénie, qui vit dans une cabane perchée dans un arbre la nuit, et oriente les recherches américaines sur le génie génétique le jour. Une sorte de hippie sur le retour sans être allé, qui s’amourache d’une inconnue dans un ascenseur en panne.
Là est l’erreur seconde, celle qui n’est pas pardonnable.
Car Robinson greffe sur son histoire une intrigue mêlant cabinets noirs para-gouvernementaux et Anonymous, dans un délire dilué sur des centaines de pages, mais sans être pour autant suffisamment approfondi pour le rendre intéressant. Notre héros passe donc des plombes soit à courir dans des parcs enneigés avec des clodos, soit à scanner ses fringues et son van à la recherche de mouchards.
Et honnêtement, pardon monsieur Robinson, c’est chiant.
Car on ne sait rien de ces intrigues, seulement ce que Franck en perçoit. Naïf dans ce domaine, et de surcroit amoureux, il n’y comprend pas grand-chose. Quitte à avoir tant de personnages, pourquoi ne pas avoir plongé dans ces eaux obscures, en suivant l’un des affranchis qui ne servent que de faire-valoir? Ou à l’inverse, pourquoi avoir traité ce thème, qui verse dans la paranoïaque théorie du complot, sans apporter de consistance à l’œuvre, mais suscite l’incrédulité d’un lecteur qui était pourtant plus qu’acquis?
Rajoutons à ça un aspect mystico-bouddhiste, qui implique le fils des Quibler, habité par la foi des Kembalais. Charlie Quibler qui va faire du pédalo avec le président des USA, son fils-incarnation des Lama dans le sac kangourou, c’est au-delà du vraisemblable.
Enfin, Franck est fanatique d’Emerson, poète et essayiste du XIXème siècle qui nous est présenté comme un philosophe. Le livre est émaillé de citations du site emersonfortheday, que je trouve affligeantes d’inconsistance, ce dont vous pourrez juger.
Que sauve-t-on?
L’espoir. Robinson est un indécrotable optimiste. A la fin, l’homme démocrate gagne grâce à l’application raisonnée de la science. L’auteur fait réfléchir aux solutions, plutôt que de hurler aux problèmes, et on a envie de le suivre sur ce terrain. On a aussi envie de croire que les choses peuvent être mieux, plus simples, et que les porte-avions américains peuvent apporter l’électricité qui fait défaut aux Chinois. Peut-être un monde de Bisounours ; surement un monde qui ne déplairait pas.
Alors, faut-il l’acheter?
Si comme moi, vous vous sentez redevable à Robinson pour le plaisir qu’il vous a apporté avec Mars, oui.
Dans le cas contraire… C’est à mon sens trop peu inspiré, pas assez (ou plutôt, mal) abouti. Et ce n’est surtout pas par ça qu’il faut découvrir Kim Stanley Robinson, vous en seriez écœuré.
Ca ne m’empêchera pas d’acheter d’autres de ses romans, en particulier SOS Antarctica, dont le sujet semble plus proche de ce que j’attends de cet auteur. En croisant les doigts, cette fois.
Oh, une dernière chose: ce n’est pas de la science fiction. Ce n’est même pas du fantastique. Ca pourrait se rapprocher du thriller. C’est une chronique bien ancrée dans notre réalité.
Sauf pour Claude Allègre.
PS: merci (encore) à Amazon pour les couvertures.