Kalisto… vous vous souvenez ? "Le 27 novembre dernier dans l’émission Complément d’Enquete, France 3 a diffusé un reportage sur la catastrophe Kalisto, la boite de dev à l’origine de l’excellent Dark Earth et d’un nombre impressionnant de daubes.
Le reportage de 15 minutes s’étand beaucoup plus sur l’aspect financier de l’affaire et les malversations que sur les jeux, mais reste interessant pour ceux qui ont suivi l’affaire". (copié collé Factornews).
Pour le reportage, c’est là (format streaming realbeurk videoplouc)
Pour histoire, la catastrophe Kalisto porte bien son nom. La liquidation judiciaire survenue le 10 avril 2002 n’est que la première étape d’une trajédie. A l’époque côtée en bourse, les petits actionnaires n’ont pas dis leur dernier mot et l’affaire ne semble pas terminée (par là pour les détails).
Suite à l’émission du 27 novembre dernier, Nicolas Gaume, ex-Pdg de Kalisto s’est fendu d’un droit de réponse publié dans “Les Echos” du 2 décembre 2003 Page 21.
Je vous fais un copié collé artistique :
"Comment manger de la soupe avec une fourchette ? Cette question posée dans
les colonnes d’un grand quotidien national peut étonner. Avoir le bon outil
pour le bon usage est un principe qui vaut sans doute dans bien des
domaines, à commencer par le financement des entreprises. Pourtant, alors
qu’un publi-rédactionnel d’Euronext récemment diffusé proclame avec ferveur
que le nouveau marché est « à nouveau attractif », je m’interroge sur
l’histoire de ce marché à travers l’exemple de la société que j’avais
fondée, Kalisto, et des enseignements que nous avons pu tirer des années de
« nouvelle économie »…
Publicité
Voici dix-huit mois, Kalisto, entreprise de création de jeux vidéo, était
mise en liquidation par le tribunal de commerce de Bordeaux, mettant un
terme à douze ans d’existence. Après avoir qualifié, en 2000, la société de
« succès certain », beaucoup de journalistes soulignaient en 2001 notre
échec et certains se risquaient en 2003 à qualifier notre histoire de «
vaste escroquerie », inspirés en cela par un romancier économique d’extrême
droite et un défenseur autoproclamé des actionnaires orphelins, en mal de
publicité…
Si je ne souhaite pas me défausser de mes responsabilités, il me semble
important néanmoins de souligner quelques faits me concernant. On m’a accusé
de m’être enrichi personnellement avec Kalisto. Comme les contrôles fiscaux
et les investigations des autorités l’ont constaté, je n’ai pas retiré de la
cotation ou de l’activité de Kalisto, directement ou indirectement, des
liquidités personnelles sur le dos de mes actionnaires. J’ai, à l’inverse,
contracté plus de 2 millions d’euros de dettes pour tenter de sauver la
société. Par ailleurs, la longue instruction de la COB et l’arrêt de la cour
d’appel de Paris d’avril dernier m’ont blanchi de toutes les sordides
accusations de manipulations de comptes ou d’abus de biens sociaux lancées
par certains, sanctionnant uniquement l’absence d’un « profit warning », que
j’aurais dû effectuer quelques semaines avant la fin de notre exercice
fiscal en décembre 2000. Depuis la fermeture de Kalisto, j’ai travaillé
comme conseil pour des sociétés américaines et européennes du secteur du jeu
vidéo et je constate quotidiennement toute la pertinence de ce que fut notre
stratégie éditoriale, technologique, organisationnelle, de recrutement, de
formation ou encore de management.
Que s’est-il passé ? En 1999, Kalisto fut la 100e valeur introduite sur le
nouveau marché. A cette époque, la société était tout sauf une start-up.
Avec dix ans d’existence, notre entreprise affichait des profits nets
annuels de 5 % à 15 %, employait quelque 200 personnes et fournissait à ses
clients éditeurs, comme Sony, Konami, Vivendi Universal ou Infogrames, des
jeux originaux ou réalisés en sous-traitance. Rémunérée par les avances et
royalties issues des ventes de ses productions, Kalisto avait su s’adapter à
l’extrême compétition du marché des jeux et à l’inflation très significative
des coûts de réalisation.
Comme toutes les sociétés du secteur, nous devions néanmoins faire face,
tous les cinq ans environ, aux difficiles transitions entre générations de
consoles de jeux. Si nous avions bien su anticiper la plupart des évolutions
des méthodes de travail et former nos équipes, l’évolution du marché en
2000, vers les nouvelles PlayStation 2, Game Cube et Xbox ainsi que vers les
jeux en réseau, exigeait également un investissement financier important
pour mettre à jour nos trois lignes de production. Créer un jeu en 1995
coûtait quelques centaines de milliers d’euros, en 2002 plus de 5 millions.
C’est la raison pour laquelle nous nous lancions début 1999 dans la
recherche de partenaires financiers privés désireux de nous épauler. Nos
conseils orientèrent bien vite cette démarche vers le nouveau marché.
Si notre réaction initiale fut négative, les sollicitations répétées des
acteurs de la place eurent raison de nos réticences. Société modeste et
dépendante d’un petit nombre de clients, notre culture « compte
d’exploitation » nous faisait penser que la Bourse n’était pas la bonne
option pour nous. Mais, à cette époque, nous disait-on, elle était
absolument « incontournable » et les modes de financement classiques «
obsolètes ».
L’objectif initial de lever quelques millions d’euros pour consolider notre
développement fut rapidement remplacé par celui de devenir plus vite plus
gros. Il s’agissait de « répondre aux attentes des investisseurs » qui,
après tout, étaient là « pour nous », pour peu que l’on consente « les
efforts qu’il fallait ». Les sirènes du marché, à coup d’analyses
financières sophistiquées, d’intimidations encourageantes et
d’encouragements intimidants nous amenèrent à changer notre modèle
économique et développer un ambitieux projet de croissance, exigeant
beaucoup plus de dizaines de millions d’euros. Tout cela accompagné par
toujours plus de spécialistes désignés (rémunérés et… onéreux) pour
auditer nos contrats ou changer nos méthodes comptables. Toujours pour le
bien du marché…
Ce plan allié à une valorisation « attractive » (c’est-à-dire plus basse que
ce que le marché était prêt à payer) à l’introduction laissait augurer une
bonne perspective pour une deuxième opération à venir par la suite, « dans
de meilleures conditions »… Dans cette dynamique, les fonds que nous
levions et surtout allions lever n’étaient plus seulement affectés à la mise
à niveau de notre outil, mais à la création de nouvelles chaînes de
production. Près de 150 personnes furent ainsi recrutées. Il s’agissait
d’atteindre les objectifs demandés par nos conseils pour nos actionnaires,
avec la promesse constamment répétée que la Bourse serait toujours là pour
financer cette croissance.
La suite est à la fois simple et sordide. La crise boursière du printemps
2000 nous empêche de lever les fonds dont nous avons un impérieux besoin,
puisque nous les avons déjà engagés. Un crédit relais très significatif mené
par les artisans de notre introduction nous est accordé pour pourvoir à nos
besoins de trésorerie en attendant que le marché aille mieux. Ce qui ne sera
jamais le cas.
Fragilisé au plus haut point, nous vivons très mal la crise du jeu vidéo de
2000. L’arrivée tardive de la console PlayStation 2 et le lent démarrage du
jeu en réseau nous frappe de plein fouet. Nos clients souffrent et ne
concrétisent pas nos accords de distribution. Cela s’avère d’autant plus
critique que cette situation met cruellement en perspective les carences du
modèle comptable choisi par nos conseils à l’introduction. Ce modèle empêche
en effet toute valorisation des travaux en cours réalisés, ce qui ajoute un
trouble d’autant plus grand à la communication financière.
Dans beaucoup de cas, crise de marché ne veut certainement pas dire mort de
l’entreprise, particulièrement quand celle-ci a un solide outil de
production et des produits que désirent ses clients. Mais, malheureusement,
l’instantané boursier et les médias se préoccupent beaucoup plus de
perceptions immédiates que de réalités fondamentales, surtout à cette
époque. Et donc sans trésorerie, lestés de ce lourd crédit « relais » et de
charges fixes élevées (et difficilement ajustables en France quand il s’agit
de salariés), nous entrons en 2001 dans une lente agonie d’un an. Beaucoup
de ceux qui s’étaient associés à Kalisto en 1999 et 2000 pour profiter de
notre notoriété nous tournent le dos. Et malgré les engagements conséquents
de nos clients, les efforts considérables de nos salariés, de nos
fournisseurs, de certains de nos partenaires financiers et plusieurs
millions d’euros que j’aurais amenés dans l’entreprise en compte courant,
nous fermons… presque guéris. C’est l’Urssaf qui nous met en dépôt de
bilan alors que nous attendions le feu vert de la COB sur un complément de
financement qui, malgré les promesses, ne vint jamais.
A l’issue de cette fin bien médiatique, nombreux furent les conseils qui se
défaussèrent de leurs responsabilités, nombreux furent ceux qui réécrivirent
l’histoire, pour nous - voire me - charger de tous les maux. « Vae victis »,
disait-on jadis. Si je me refuse à croire que l’unique motivation de
collecter les commissions, remplir des quotas et multiplier les opportunités
de spéculations ont amené les spécialistes à pousser Kalisto en Bourse en
1999, le fait est qu’a posteriori je ne peux pas m’empêcher de penser que la
Bourse nous a tués. Je plaide coupable d’avoir très naïvement pensé que les
acteurs de la place se préoccuperaient vraiment de notre société et de son
développement et j’en assume aujourd’hui de lourdes conséquences
financières. Mais des emplois détruits et des paris perdus de nos
actionnaires, quels enseignements la communauté boursière a-t-elle tirés ?
Mieux comprendre une entreprise et son potentiel, vérifier la robustesse de
son modèle face à la croissance et aux aléas du marché et… assumer ses
responsabilités peut-être. La Bourse est un outil formidable, mais pas pour
toutes les entreprises ou, plus certainement, pas pour n’importe quelle
époque de la vie d’une entreprise. Choisir le bon outil au bon moment est
sans doute la leçon que personnellement je n’oublierai pas. "
Voilà, à commenter sans modération…(et à ne pas prendre pour argent comptant, Nicolas Gaume ayant été tout de même condamné. M’enfin, ça permet de comprendre des choses).