Remettre au lendemain, ou même à un futur tout à fait incertain, les moultes tâches ingrates qui occupent nos pauvres journées permet parfois de ressentir d’intenses sentiments de satisfaction, proche de l’orgasme ou, en tout cas, du sentiment du devoir accompli (ce qui, parfois, quoique assez rarement, est assez ressemblant. Il faut dire que lorsque je connaissais Lulu la Gambette, près d’Angers, je… Mais je m’égare…).
Afin d’illustrer ce propos qui part déjà en n’importe quoi dès la quatrième ligne, prenons des exemples concrets.
L’une des pires taches que je connaisse, et personne je pense ne me démentira, c’est de faire la vaisselle. Quelle corvée ahurissante, c’en est phénoménal. Et tout à fait universel, en plus. Je ne connais personne qui fasse ça avec plaisir.
Du coup, lorsqu’enfin je me décide à la faire, généralement lorsque je ne peux même plus mettre une petite cuillère dans l’évier sans que la pile d’assiette, bol, poële, casserole et autre ustensile ne s’écroule lamentablement, elle qui déjà remet sans cesse en question les lois de l’équilibre et de la gravité (si Newton, au lieu d’une pomme, avait reçu sur la tête une pile de vaisselle, il aurait d’emblée découvert toutes les lois régissant l’univers et Einstein n’aurait été connu que pour sa langue); lorsque je me décide, donc, à prendre à bras le corps mon éponge et mon liquide nettoyant afin de combattre le miasme, il me faut en général une bonne demi-heure pour venir à bout de ce travail Herculéen.
Mais une fois que c’est fini, hosannah… Une béatitude rarement plus forte que dans ces moments là s’empare de moi, et pour en profiter au maximum je pousse même le vice jusqu’à nettoyer mon évier, afin de bien être sur que ça y est, je l’ai fait, nom de Dieu, et que tout est nickel. Je me dis que j’ai enfin fait ce qui doit être fait, que tout rentre dans l’ordre des choses et j’ai, l’espace d’une seconde, l’impression que je suis à jamais débarrassé de cette corvée ingrate et que l’humanité entière me doit reconnaissance infinie, moi qui suis venu à bout d’un tel défi.
Et j’ai toujours envie de pleurer comme une madeleine lorsque je vois que, quelques heures plus tard, tout est à refaire…
Autre phénomène ou même Mulder se serait cassé les dents (qu’il a jaune, soit dit en passant), du temps lointain, voire même imaginaire, où une présence féminine était à mes côtés quotidiennement, je ne me rappelle pas vraiment avoir eu à me soucier du linge. Bien sur, pour participer au ménage et faire ma part de travail, je rassemblais moi aussi méticuleusement mes affaires sales afin de les enfourner d’un geste altier dans le bac de linge. Mais ensuite, les dites affaires devaient traverser un espace temps qui ne correspondait pas au mien, un univers parallèle dont je n’avais pas conscience, car je les retrouvais, quelques jours plus tard, convenablement pliés dans mon armoire. Je n’ai jamais vraiment cherché à comprendre ce mystère, je dois l’avouer, car j’étais bien content que la nature ait aussi bien fait les choses.
Pourtant, désormais, bizarrement cette méthode empirique ne marche plus et lorsque, comme d’habitude, je mets mes affaires sales dans un coin de la salle de bain, en l’oubliant consciencieusement, je ne les retrouve pas dans mon armoire quelques jours plus tard: ils restent, comme des abrutis, là où je les ai posé, semblant me narguer du haut de la pile qui s’ammoncelle en tas informe dans un coin, procurant des heures de plaisir à Enzo (Enzo c’est mon chat), lui qui devine sans faire d’effort le côté ludique des choses et qui prend un malin plaisir à se rouler dans cette montagne dédiée à la feignantise… Enzo me fera mourir un jour, il faut que ce soit dit…
Du coup, là encore, malgré ma propension à ne pas voir le mauvais côté des choses (même quand je dois rentrer dans ma salle de bain avec un tractopelle pour dégager l’entrée), je suis bien forcé de prendre une décision radicale. Et puisque racheter sans arrêt des vêtements en jetant au fur et à mesure ceux qui sont sales reviendrait à ridiculiser le budget de fonctionnement de n’importe quel pays occidental, je suis bien contraint de les laver.
Des heures d’expériences scientifiques avec une bête machine à laver seraient ici à insérer, notamment lorsque après le lavage, mon tee shirt préféré ressort avec une taille qui permettrait d’habiller élégamment des cafards, si ceux-ci avaient deux bras.
Mais bref. Je le ferais peut-être une autre fois, lorsque la gymnastique intelectuelle permettant d’écrire ne sera pas accaparée par ces incessantes tâches ménagères ingrâtes et quotidiennes…
Tout se préambule pour te dire, ô combien cher ami, que si tantôt tu m’as dérangé en plein dégivrage de frigo, c’est que là encore, la procrastination dans laquelle je suis passé maitre est responsable de tout.
En effet, cela doit faire plus d’un an que je ne me suis pas préoccupé du sort de cet ustensile ménager aussi précieux qu’inesthétique (bien que le mien soit dissimulé derrière une porte de bois, me rétorqueras-tu, auquel cas je te répondrais que, certes, mais que tu n’as pas à intervenir dans ce que je t’écris, non mais sans blague). Et celui-ci commençait à être envahi par une bonne tonne de glace qui déformait le plastique du fond et dégoulinait en lentes cascades stalagmitiques vers le bas, capturant au passage en les enserrant dans une gangue protectrice les moultes étagères permettant de placer les victuailles. Jean Louis Etienne lui même aurait déclaré forfait si je lui avait demandé d’explorer ce nouveau continent. J’ai même cru apercevoir des pingouins, à un moment donné, mais je n’en suis plus très sur (c’était après la septième bière, lors d’une soirée bien arrosée, et en lisant Joystick. va savoir pourquoi…).
J’aurais, là encore, bien retardé le moment fatidique où j’aurais dû m’occuper de ça et poursuivis l’expérience scientifique consistant à voir au bout de combien de temps la glace pouvait tout envahir, si le dit frigo n’avait pas poussé des cris de détresse sous forme de glougloutement fort amusants mais au demeurant très inquiétants. En effet, durant la semaine où mes amis étaient là en vacances, squattant ignoblement mes pénates, le frigo n’avait jamais été aussi rempli de toute sorte de choses à manger (alors que je m’en sers, personnellement, pour n’y mettre que du Pepsi ou des choses à boire). Or à chaque fois que nous ouvrions sa porte puis la refermions, un liquide dégoulinait de je ne sais où pour aller je ne sais où (tu noteras la précision de la description)… C’était une sorte de “gloc gloc”, si je puis me permettre d’insérer des onomatopées, qui ne produisaient pas en nous un sentiment rassérénant.
En bref, j’étais foutrement inquiet pour la santé de ce fichu machin.
Mes talents de mécanicien frôlant le néant, voire même le pulvérisant sans aucun effort, bien que je sache pertinement le principe général de fonctionnement d’un frigidaire (qui est basé sur la thermodynamique et où la formule PV = NRT doit bien avoir son rôle à jouer quelque part, cette garce), je ne me sentais pas capable de réparer mon frigo si celui ci venait, par inadvertance, à me claquer dans les pattes.
Du coup, ayant pris mon courage à deux mains, mézigues se lançait dans la quête éprouvante et certainement perdue d’avance du nettoyage et du dégivrage de frigo. Ayant posé judicieusement une bassine à l’intérieur pour recueillir l’eau qui ne manquerait pas de couler, je coupai l’alimentation électrique et allai me coucher…
Comme de bien entendu, le lendemain je m’aperçus que l’eau, en fondant, avait envahie ma cuisine et que ma bassine n’avait servi à rien. Même si je m’y attendais, c’est toujours désagréable lorsque, vers 14h du matin, tes pieds nus glissent sur la flotte du carrelage… Mais baste, il faut ce qu’il faut.
Je dûs donc prendre mes serpillères et assécher le tout, et j’en ai même profité pour nettoyer intégralement l’intérieur du frigo, où j’eus d’ailleurs la surprise de constater qu’un oignon avait carrément germé dans le bac à légume… J’ai aussi retrouvé des strates de jaune d’oeufs qu’un paléontologue expérimenté aurait pu dater aux environs du quaternaire. Une fois tout ceci proprement récuré, lavé, bichonné, j’ai nettoyé les étagères et replacé amoureusement les petits bacs escamotables de la porte (je les ai même disposé d’une façon tout à fait originale, parce que je me suis aperçu qu’il y avait plus de crochets que de bacs, ce qui permet de personnaliser l’intérieur du frigo. Me fais-je bien comprendre ? C’est en quelque sorte le côté ludique des choses)…
Et pour revenir au sujet principal de ce laius qui aurait comme une certaine tendance à s’allonger démesurément, eh bien une fois que j’eus fini ça, j’étais carrément content…
Comme quoi, encore une fois, les petites joies simples de la feignantise ne sont pas prêt de me faire oublier de ne jamais tout faire en temps utile…
Sur ce je vous laisse, incomparables amis.
FMP