Bon je ne sais pas trop quoi répondre (à part un lapin avec un rouleau de PQ sur la tête) mais du coup je comprends mieux comment les médias peuvent se montrer aussi complaisants. Après tout, si même sur la Zone on peut passer à ce point à côté de la réalité, c’est logique que ça soit très, très difficile pour le grand public.
Histoire de ne pas me draper dans mon wtfisme, je réponds vite fait sur les points que tu soulèves :
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le dépistage n’augmente pas les chances de survie. Si t’as un cancer de la prostate, qu’il soit dépisté ou pas, tes chances de survie sont les mêmes.
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en revanche, même si on met de côté l’argument “des tas de gens vont paniquer et faire n’importe quoi” en partant du principe qu’il faut donner le choix à chacun (ce qui en pratique donne des chiffres de dangerosité/mortalité effarants), M�?ME si on met de côté cet argument, donc, même si vous êtes super raisonnable, que vous tombez sur un médecin super raisonnable, et que vous pensez prendre les décisions les plus raisonnables au monde, vous n’avez aucune chance d’améliorer les choses. Vous ne pouvez (sauf cas exceptionnel) que les empirer.
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tous les cancers de sont pas bons à dépister. Cf notamment le formindep. Le cancer de la prostate est peut-être le meilleur exemple du cancer qu’il ne faut pas dépister (a contrario par exemple du cancer du sein)
L’argument “bhaaaaaaaa au pire on se fait dépister pour rien, vaut mieux le faire, ça coûte rien” donne aux médecins dignes de ce nom l’envie de hurler. SI SI, CA CO�?TE.
http://www.atoute.org/n/article117.html
Quel est le “coût” du dépistage en termes d�??effets indésirables du traitement destiné à éviter le développement du cancer ?
Considérons comme un acquis cette diminution du risque de mourir d�??un cancer de la prostate chez les patients se soumettant à un dépistage et intéressons-nous maitenant aux inconvénients de ce dépistage.
Pour la majorité de ceux qui remettent en cause l�??intérêt de ce dépistage, ou au moins de sa promotion médiatique, le principal problème n�??est pas tant dans sa modeste efficacité que dans le prix à payer pour lutter contre la mortalité liée à ce cancer. C�??est le cas notamment de l�??éditorialiste du NJEM déjà cité et du Dr Mary McNaughton-Collins qui intervient dans la remarquable vidéo-débat publiée sur le site de la revue.
Dans l�??étude européenne, nous avons donc grâce au dépistage, évité environ un décès par cancer de la prostate pour 1000 patients de 55 à 69 ans suivis pendant 9 ans.
Qu�??est-il arrivé globalement à ces 1000 patients pour permettre d�??éviter le décès par cancer de la prostate chez l�??un d�??entre-eux ? Nous avons une partie des réponses dans l�??article publié :
Chacun de ces 1000 hommes a pratiqué tous les 4 ans un test sanguin pour les PSA. En moyenne, chaque homme a pratiqué 2 tests. Sur le total de tous les tests, 16% ont été positifs. Nous ne disposons pas du pourcentage d�??hommes ayant eu au moins un test positif, mais il doit être de l�??ordre de 15% (certains hommes ont pu avoir plusieurs tests positifs). Donc, 150 hommes ont été informés d�??un risque potentiel de cancer de la prostate.
Chez ces 150 hommes ayant eu des PSA anormales, 85% ont accepté la réalisation de biopsies de la prostate. Il s�??agit de prélèvements multiples de cellules prostatiques à l�??aide d�??aiguilles introduites par le rectum. Il n�??y a eu aucun décès lié à ces biopsies pendant toute l�??étude européenne (les biopsies sont connues pour pouvoir provoquer des hémorragies et des septicémies graves). Parmi nos 1000 hommes suivis, 125 ont donc accepté de subir des biopsies au cours des 9 ans de suivi.
Chez ces 125 hommes biopsiés, le diagnostic de cancer a été confirmé une fois sur quatre soit 30 cas diagnostiqués et traités.
Parmi ces 30 hommes (encore une fois, ces chiffres sont approximatifs, c�??est l�??ordre de grandeur qui compte), nous ne connaissons pas le pourcentage d�??impuissance et d�??incontinence consécutives à la chirurgie ou d�??autres ennuis liés à la radiothérapie. Les auteurs ont annoncé une publication future sur la qualité de vie dans le cadre de ce dépistage. Par d�??autres sources, nous savons que ces traitements provoquent généralement une impuissance quasi totale chez plus de la moitié des opérés, et une incontinence grave chez environ 5 % d�??entre-eux. Il s�??agit de chiffres datant de l�??époque où cette étude a été réalisée. La chirurgie prostatique a fait des progrès importants depuis quelques années. Pour autant, nous ne savons pas si ces nouvelles techniques, moins mutilantes, protègent autant des récidives cancéreuses que la chirurgie radicale pratiquée lors de l�??étude.
En résumé, pour 1000 hommes âgés de 55 à 69 ans participant à un dépistage du cancer de la prostate sur une période moyenne de 9 ans :
150 auront des PSA anormalement élevées.
Sur les 125 qui accepteront des biopsies, 30 découvriront qu�??ils sont atteints d�??un cancer de la prostate.
Sur les 30 cancéreux traités, 20 seront définitivement impuissants, 15 souffriront de troubles urinaires et 2 seront totalement incontinents (nécessité de porter une poche à urine en permanence).
Sur les 30 cancéreux traités, 1 homme ne mourra pas de son cancer de la prostate alors qu�??il serait mort en l�??absence de dépistage.
Nous ne pouvons avoir la certitude que dans notre groupe de 1000 hommes, l�??ensemble des inconvénients liés au dépistage n�??a pas été indirectement responsable de la mort d�??au moins un autre homme, ce qui annulerait le bénéfice global du dépistage.
Cette présentation est plus parlante que des statistiques brutes, et surtout plus honnête que des titres que j�??ai pu lire dans la presse, laissant entendre que le dépistage du cancer de la prostate permettait une diminution de 20% de la mortalité (oubliant de préciser qu�??il s�??agissait uniquement de la mortalité par cancer de la prostate). C�??est celle que je ferai à mes patients, lorsque je les informerai sur ce dépistage. Ils décideront s�??il choisissent la voie du dépistage ou celle de l�??abstention. Personnellement, je continuerai à leur suggérer l�??abstention, sans leur imposer bien sûr.
Sauf à disposer d�??un test vraiment fiable pour éviter biopsies et traitements inutiles, je ne pense pas changer d�??avis à court terme. Il me paraît indéniable en revanche, que l�??étude Européenne modifie les explications à fournir aux patients et constitue un progrès dans la connaissance de l�??effet du dépistage.
Le vrai débat sur le dépistage, la décision que chacun doit prendre, se situe avant le dosage des PSA, et non après. Certains urologues recommandent de pratiquer le dépistage, de diagnostiquer les cancers par biopsie, et de ne traiter que ceux qui paraissent vraiment dangereux, en pratiquant des biopsies de contrôle tous les ans. Voila une recommandation qui tient peu compte de l�??impact d�??une telle révélation sur la santé mentale de nos patients. On vit mal avec une annonce de cancer, même assortie de paroles rassurantes.
Pour ceux tentés par le dépistage, ce que je peux tout à fait comprendre, il est préférable de suivre le protocole qui a obtenu pour la première fois un résultat significatif, soit un dosage des PSA tous les 4 ans. Dans l�??étude étatsunienne, le dosage a lieu tous les ans et aboutit au contraire à une surmortalité par cancer de la prostate dans le groupe dépisté. Cet effet délétère d�??un dépistage trop fréquent a déjà été constaté pour d�??autres dépistages car il augmente le risque de faux positifs et d�??excès de traitement [4].
En conclusion et pour paraphraser une boutade célèbre, voici un dialogue qui résume bien la situation pour ce dépistage toujours controversé :
Docteur, est-ce que je vivrai plus vieux si je pratique le dépistage du cancer de la prostate par les PSA ?
Non, non, vous ne vivrez pas plus vieux, mais la vie pourrait vous paraître plus longue…