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Mais cette étanchéité pourrait être remise en question. Outre les déclarations dans ce sens de la délégation générale pour l’armement (DGA), Serge Lepeltier, sénateur UMP du Cher, auteur d’un rapport sur la France et la mondialisation, remis en juin au premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, recommande d’“encourager la “civilisation” des brevets militaires”. Et le ministère de la recherche vient de nommer au poste de directeur de la technologie Jean-Jacques Gagnepain, précédemment conseiller scientifique du délégué général. “Les lois fondamentales de la physique ne sont ni civiles ni militaires”, déclare-t-il aujourd’hui, tout comme il le faisait quand il était encore à la DGA.
L’environnement actuel, tant technologique qu’économique, pousse en effet plus que jamais à une convergence entre ces deux mondes. La nécessité de réduire les déficits publics oriente les budgets de recherche à la baisse. Celui du ministère de la recherche, mais aussi celui du ministère de la défense, dont le budget recherche et développement (R & D) a diminué de 30% entre 1995 et 2000, pour repartir néanmoins à la hausse depuis 2002 et atteindre 3,9 milliards d’€ en 2003. Ce dernier finance environ 65% de l’ensemble des aides publiques de recherche aux entreprises.
La baisse de ces dernières années a été ressentie par tous les industriels du secteur de la défense (EADS, Thales, Snecma, Dassault Aviation), qui perçoivent traditionnellement des contrats d’études importants du ministère. Elle le fut particulièrement pour les recherches qui ne relevaient pas exclusivement du domaine militaire. Car, confronté à cette diminution de ressources, le ministère de la défense a privilégié les travaux liés à son secteur d’activité, tandis que le ministère de la recherche, ou celui de l’industrie, faisait l’inverse. Conséquence : “Contrairement aux Etats-Unis, où les ministères civils et militaires se battent pour financer les technologies duales, c’est-à-dire ayant des usages tant civils que militaires, en France, celles-ci ne sont financées nulle part”, explique Dominique Vernay, directeur technique de Thales.
Ce cloisonnement se retrouve au niveau des laboratoires publics. Aux Etats-Unis, les équipes de recherche universitaires peuvent travailler tant pour le civil que pour le militaire et les agences militaires, comme la célèbre Defense Research Projects Agency (Darpa), qui est à l’origine d’Internet, peuvent confier des travaux au laboratoire le plus compétent. “En France, les laboratoires publics sont déjà orientés ; l’Office national d’études et de recherches aérospatiales (Onera) travaille ainsi en priorité avec des entreprises du secteur de la défense”, affirme M. Vernay. Non seulement, le budget de R & D militaire américain est, selon les chiffres de l’OCDE, 17 fois supérieur au budget français, mais en plus il serait donc plus efficacement utilisé, car profitant mieux des compétences des uns et des autres. “Il favorise le brassage des hommes dans les laboratoires”, explique M. Vernay.
Ces différences profondes dans l’organisation du système de recherche entre la France et les Etats-Unis se sont exacerbées depuis le milieu des années 1990, avec la fin de la guerre froide. “Le fondement de la politique de R & D militaire américaine reste politique et stratégique”, explique Valérie Merindol, enseignant-chercheur à l’Ecole de l’air et coauteur de La Recherche et la Technologie, Enjeux de puissance (éditions Economica), un ouvrage sur l’économie de l’innovation dans le secteur de la défense. “Même après la guerre froide, la justification principale du soutien fédéral à la recherche fondamentale reste la sécurité et la santé”, poursuit-elle. Ce qui permet de toucher un vaste champ d’activités… et “d’échapper aux règles de l’Organisation mondiale du commerce”, ajoute Denis Randet, délégué général de l’Association nationale de la recherche technique (ANRT), polytechnicien, ingénieur de l’armement et bon connaisseur du sujet pour avoir longtemps dirigé le Leti, laboratoire du Commissariat à l’énergie atomique spécialisé dans les composants électroniques. “La défense américaine finance des recherches en biotechnologies pour lutter contre le bioterrorisme, en espérant que les grands groupes pharmaceutiques américains continueront d’être les maîtres du monde”, explique-t-il.
En France, le mouvement inverse s’est produit. "En 1995, les militaires ont cassé leur outil. Jusque-là, la DGA payait des ingénieurs compétents, qui avaient une vision stratégique sur la durée. On appréciait cette continuité, qui est la clef de la mise au point de techniques nouvelles et lourdes. Mais le Japon est devenu le modèle mondial. On a voulu imiter leur système de production de masse de produits grand public. Au nom de cette réalité et de la baisse des budgets militaires, on s’est concocté un concept maison de component on the shelf, selon lequel les militaires, pour concevoir leurs systèmes, devaient s’approvisionner en produits et composants standards. Cette vision de la dualité a été une escroquerie. On a refusé de voir les effets bénéfiques de ce que l’on perdait", s’insurge Denis Randet.
Mais, depuis deux ans, la DGA essaie de recréer des ponts. La remontée des budgets R & D dans le domaine de la défense, à partir de 2002, aurait accentué cette tendance : "Le monde de la défense est moins crispé, observe M. Vernay, et le civil voit un intérêt à se rapprocher du militaire. Dans mon domaine -l’électronique-, on ne note plus de jalousie affichée, mais plutôt une volonté de coopérer."
Des scientifiques de la DGA participent en effet désormais aux réseaux de recherche et d’innovation technologique mis en place par le ministère de la recherche. “L’effort d’intégration de la DGA dans les réseaux liés à la communauté nationale de recherche sera intensifié”, affirme Yves Gleizes, délégué général pour l’armement, dans Les Cahiers de mars.
De son côté, une entreprise comme Thales a aussi revu son organisation. Une direction de la recherche, créée il y a deux ans et demi, identifie les besoins communs aux scientifiques des pôles militaires et civils. “Les deux sont considérés au même niveau, alors qu’avant, la recherche centrale servait essentiellement la défense et le civil était un dérivatif”, explique M. Vernay.
Autant de changements organisationnels et culturels dont les résultats n’apparaîtront sans doute que dans quelques années. “Le danger serait que, dans un an, on dise qu’il faut arrêter ce mouvement parce que les résultats ne sont pas au rendez-vous”, redoute Mme Mérindol.
Annie Kahn
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Les PME sont ignorées[/b]
“Les PME-PMI sont plus à même que les grands groupes de développer des innovations de rupture.” Dans son bulletin Ecodef de mai 2003 consacré aux industries franciliennes de défense, le ministère de la défense reconnaît le rôle crucial des petites entreprises dans l’économie de l’innovation.
Pourtant, une note en date du 18 juin publiée par l’Observatoire économique du même ministère indique que les PME ne reçoivent que 2% des financements publics de recherche et développement militaire. Aux Etats-Unis, la Small Business Administration (SBA), l’agence américaine chargée de l’aide aux PME, s’assure que 23% des contrats gouvernementaux (de recherche en particulier) sont passés avec des PME.
Cela explique que, parmi les vingt-cinq plus grandes entreprises américaines actuelles, dix-neuf (dont Microsoft, Intel ou Cisco) ont été créées depuis 1960, souligne Emmanuel Leprince, délégué général du Comité Richelieu, association de PME technologiques. Un plan pluriannuel de soutien aux PME lancé par la délégation générale pour l’armement (DGA) pour la période 2002-2004 permettra peut-être de réduire ce fossé. Il prévoit de “faciliter l’accès des PME aux contrats de défense”.
Ce message a été édité par xentyr le 14/07/2003