Un beau sujet de débat en perspective:
Aucune raison de paniquer. A priori, nous sommes encore loin du «soulèvement des machines», tel qu’illustré dans le troisième épisode de «Terminator», actuellement sur grand écran. Cet instant fugace où les machines échappent au contrôle humain, devenant des rebelles exterminant sans pitié leurs créateurs. Nous n’en sommes pas là. Mais tout de même, le moment est historique. Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, un robot était invité à un repas officiel entre «grands» de ce monde. Ce dîner était donné, jeudi à Prague, par le Premier ministre tchèque Vladimir Spidla à l’occasion de la visite officielle de son homologue japonais Junichiro Koizumi. Ce dernier avait emmené dans ses bagages Asimo, un robot humanoïde créé par Honda et capable de se déplacer, de parler, de manière autonome.
Le bipède anthropomorphe, quoique de petite taille (1,2 mètre) et ressemblant surtout à un spationaute, avait pour l’occasion appris à parler le tchèque. Rien ne s’opposait dès lors à ce qu’il prenne part à la conversation, comme n’importe quel autre hôte de marque forcément humain. Nul ne sait s’il a apprécié ce qu’il y avait au menu. Mais là n’est pas la question.
L’accueil d’une machine de ce type au plus haut niveau de la vie publique d’un pays peut faire sourire par son caractère anecdotique, voire folklorique. Sauf qu’Asimo, bien qu’il n’ait aucune fonction officielle hormis peut-être celle d’émissaire de la société qui lui a «donné vie», est devenu de facto le représentant officiel d’une «nation robot embryonnaire». Une organisation sociale en devenir où ces créations humaines pourraient un jour vouloir régner en maîtres. Ou à tout le moins s’émanciper culturellement, économiquement, politiquement… Une coïncidence historique donne d’ailleurs au microévénement de jeudi une curieuse résonance, à la texture passablement prémonitoire. Le même jour, 35 ans plus tôt, les troupes armées du Pacte de Varsovie envahissaient la Tchécoslovaquie afin de réprimer durement le vent de renouveau politique et social qui soufflait alors sur ce pays satellite de l’URSS, un mouvement mieux connu sous le nom de «Printemps de Prague»… Y aura-t-il un jour un «Printemps de Robotland»?
Pour l’heure, les robots domestiques à tout faire balbutient encore. La différenciation des tâches est encore de mise: outre les robots ménagers utilisés dans la cuisine (dont peu sont vraiment autonomes), on peut citer l’aspirateur circulaire qu’on lâche dans une pièce en évitant les obstacles (et dans le même esprit la tondeuse à gazon), mais aussi les robots affectifs zoomorphes de type Aibo et la nouvelle vague des robots de compagnie plus ou moins anthropomorphes qui déferle sur le Japon. Derniers modèles en date, Ifbot (Business Design Laboratory), avec ses expressions faciales, et Wakamaru (Mitsubishi), avec sa robe à roulettes et son accès à Internet, sont capables de soutenir une conversation grâce à leur logiciel de reconnaissance vocale. Pour sa part, Asimo (pour Advanced Step in Innovative Mobility) peut également effectuer certaines tâches simples comme porter des objets, fermer une porte, actionner un interrupteur…
Il possédait aussi un avantage sur ses concurrents pour faire bonne impression auprès d’hommes d’Etat. L’humanoïde nippon n’en est pas à son coup d’essai dans sa découverte de la vie publique. Avant de «se taper la cloche» avec des premiers ministres, Asimo avait eu le privilège d’être le premier non humain à sonner une autre cloche, celle marquant l’ouverture de Wall Street, le 14 février 2002, célébrant ainsi le 25e anniversaire de la cotation d’Honda sur le marché new yorkais.
Le gentil robot est donc toujours aux ordres de ses concepteurs, amadoué, doué d’amour donc, et capable à ce titre de rendre hommage - en déposant une gerbe de fleurs au pied de son buste - à l’auteur dramatique tchèque Karel Capek. C’est lui qui, en 1921, avait créé le néologisme «robot» (du tchèque «robota», travail fastidieux, corvée) dans sa pièce de théâtre R.U.R. (Rossum’s Universal Robots). Elle met en scène un ingénieur ayant créé des androïdes capables de travailler de manière rentable, et qui finissent par se rebeller et exterminer l’espèce humaine…
© La Libre Belgique 2003