Pourquoi les nerds ne sont pas populaires ?

Beaucoup de monde a déjà dû lire le petit essai de Paul Graham : Why nerds are unpopular? À l’heure où le combat VO/VF fait rage, le voici de retour en version française, grâce aux efforts de kobal2, que l’on peut retrouver dans son blog Noir sur Blanc. Je vous copie/colle donc cet essai ici :

[quote]Pourquoi les nerds ne sont pas populaires ?

Quand on était au collège, mon ami Rich et moi avions dressé une carte des tables de la cantine en fonction de la popularité. C’était facile, parceque les gamins ne mangeaient qu’avec d’autres partageant à peu près la même popularité. On les avait notées de A à E. Les tables A étaient pleines de joueurs de football, de cheerleaders, et ainsi de suite. Les tables E regroupaient les enfants affligés de cas légers du syndrome de Down, qu’on appelait attardés mentaux à l’époque.

Nous, nous étions à une table D, c’est à dire aussi bas qu’on puisse être sans avoir l’air différent physiquement. C’était plutot sincère d’ailleurs, dire le contraire aurait été mentir. Tout le monde dans l’école savait exactement à quel point chacun des autres était populaire, nous y compris.

Ma popularité à commencer à monter progressivement au lycée. La puberté a fini par arriver, je suis devenu un bon joueur de foot; et j’ai monté un journal underground scandaleux. A la fin du lycée j’étais suffisament acceptable pour qu’une des “belles de classe” reconnues accepte de sortir avec moi. J’ai donc vu une bonne partie de l’échelle de popularité.

Je connais beaucoup de gens qui étaient des “nerds” à l’école, et ils racontent tous la même histoire : il y’a une forte correlation entre être intelligent et être un nerd, et une correlation inverse encore plus forte entre être un nerd et être populaire. Etre intelligent semble rendre impopulaire.

Pourquoi ? Pour quelqu’un qui est à l’école, ca semble être une question étrange. C’est un fait tellement présent, évident, qu’il peut sembler bizarre d’imaginer qu’il puisse en être autrement. Mais ca le pourrait. Etre intelligent ne vous transforme pas en marginal rejeté à l’école primaire. Et, pour autant que je puisse en juger, le problème n’est pas si important dans la plupart des autres pays. Mais dans un collège américain typique, être intelligent a beaucoup de chances de vous rendre la vie difficile. Pourquoi ?

La clé de ce mystère est de reformuler un peu la question. Pourquoi les enfants intelligents ne se rendent-ils pas populaires ? Si ils sont si malins, pourquoi ne comprennent ils pas comment marche la popularité, et pourquoi ne réussissent ils pas à maitriser ce système, comme ils le font pour les contrôles de cours et les tests d’aptitude ?

On a dit que ca serait impossible, que les enfants intelligents sont impopulaires parceque les autres enfants envient leur intelligence, et que rien qu’ils puissent faire ne pourrait les rendre populaires. Si seulement. Si les autres gosses du collège m’enviaient, ils le cachaient vachement bien. Et de toute façon, si être intelligent était vraiment une qualité enviable, les filles auraient rompu les rangs. Les filles aiment les garçons que les autres garçons envient.

Dans les écoles où j’ai été, être intelligent n’avait pas vraiment d’importance. Les enfants n’admiraient, ni ne méprisaient l’intelligence. Tant qu’a faire, ils auraient préféré être du coté “plus intelligents que la moyenne” plutot que du côté des plus cons, mais l’intelligence comptait nettement moins que l’apparence physique, le charisme ou les performances sportives par exemple.

Alors si l’intelligence elle même n’est pas un facteur de popularité, pourquoi les enfants intelligents sont ils toujours impopulaires ? La réponse, je crois, c’est qu’ils ne veulent pas vraiment l’être.

Si quelqu’un m’avait dit ça à l’époque, je lui aurais ri au nez. Etre impopulaire à l’école ça rend les enfants malheureux, certains au point de se suicider. Me dire que je ne voulais pas être populaire, ç’aurait éte comme dire à quelqu’un mourant de soif dans un désert qu’il ne veut pas d’un verre d’eau. Biensur que je voulais être populaire.

Mais en fait non, pas assez. Il y’avait quelque chose que je voulais plus : être intelligent. Pas seulement pour avoir des bons résultats à l’école, même si ca comptait, mais pour concevoir des fusées, ou pour bien écrire, ou pour comprendre comment programmer un ordinateur. D’une façon générale, pour faire des grandes choses.

A l’époque, je n’ai jamais essayé de séparer mes désirs et de les peser l’un vis à vis de l’autre. Si je l’avais fait, j’aurais vu qu’être intelligent était le plus important pour moi. Si quelqu’un m’avait offert la possibilité d’être le gosse le plus populaire de l’école, mais au prix d’être d’une intelligence moyenne (laissez moi croire que je ne l’étais pas, voulez vous), je ne l’aurais pas saisie.

Et aussi profondément qu’ils puissent souffrir de leur impopularité, je ne pense pas que beaucoup de nerds le feraient. Pour eux, l’idée d’une intelligence moyenne est insupportable. Mais la plupart des enfants accepteraient ce marché. Pour la moitié d’entre eux, c’eut été un progrès. Même pour quelqu’un d’intelligent à 80% (en admettant, comme nous semblions tous le faire à l’époque, que l’intelligence est une valeur scalaire), qui ne laisserait pas tomber 30 points en échange d’être aimé et admiré de tous ?

Et voila, à mon avis, le coeur du problème. Les nerds servent deux maitres. Ils veulent être populaires, certainement, mais ils veulent surtout être intelligents. Et la popularité n’est pas quelque chose que l’on puisse travailler pendant ses temps libres, pas dans l’environnement furieusement compétitif d’un collège américain.

Alberti, sans doute l’archétype de l’Homme de la Renaissance, écrit que “aucun art, aussi mineur soit il, ne demande moins qu’une dévotion totale à qui veut y exceller.” Je me demande si qui que ce soit dans le monde travaille plus dur à quoi que ce soit que les gosses des écoles américaines travaillent à être populaires. Les commandos SEALs de la Navy et les neurochirurgiens sont des branleurs à côté d’eux. Eux, ils prennent des vacances, ils ont des hobbies même. Un teenager américain peut travailler à être populaire chaque heure qu’il vit, 365 jours par an.

Je ne veux pas suggérer qu’ils le font consciemment. Certains d’entre eux sont véritablement des petits Machiavels, mais ce que je veux vraiment dire, c’est que les ados sont toujours au boulot en tant que conformistes.

Par exemple, les ados font très attention à leurs vêtements. Ils ne s’habillent pas consciemment pour être populaires. Ils s’habillent pour être beaux. Mais vis à vis de qui ? Des autres gosses. L’opinion des autres enfants devient leur définition de ce qui est bien, et pas seulement pour les vêtements, mais pour tout ce qu’ils font, jusqu’à leur manière de marcher. Et donc, chaque effort qu’ils font pour faire les choses “bien” est aussi, consciemment ou non, un effort pour être plus populaire.

Les nerds ne réalisent pas cela. Ils ne réalisent pas que ca demande du travail pour être populaire. En général, les gens qui sont en dehors d’un domaine précis ne se rendent pas compte du fait que le succès dépend d’un effort constant (bien que souvent inconscient). Par exemple, la plupart des gens semblent considérer la capacité à dessiner comme une sorte de qualité innée, comme “être grand”. En fait, la plupart des gens qui “savent dessiner” aiment ça, et ont passé des heures à le faire, et c’est pour ça qu’ils sont bons. De même, la popularité, ce n’est pas quelque chose qu’on a ou pas, c’est quelque chose qu’on se construit soi-même.

La principale raison pour laquelle les nerds sont impopulaires, c’est qu’ils ont d’autres idées en tête. Leur attention se porte sur les livres, ou sur la nature, pas sur les modes et les fêtes. Ils sont comme quelqu’un qui essayerait de jouer au football en essayant de garder un verre d’eau en équilibre sur leur tête. Les autres joueurs, qui eux peuvent focaliser toute leur attention sur le jeu, les battent sans effort aucun, et se demandent pourquoi ils semblent si incapables.

Même si les nerds s’attachaient autant que les autres enfants à leur popularité, devenir populaires leur demanderait plus de travail. Les enfants populaires ont appris à l’être, et à vouloir l’être, de la même manière que les nerds ont appris à être intelligents et à vouloir l’être : de leurs parents. Tandis que les nerds étaient entrainés à trouver les réponses exactes, les enfants populaires étaient entrainés à faire plaisir à leur entourage.

Jusqu’ici j’ai mélangé volontairement la relation entre “intelligence” et “nerditude”, utilisant les deux comme si les deux concepts étaient interchangeables. En fait, c’est seulement le contexte qui les rend interchangeables. Un nerd est quelqu’un qui n’est pas assez adapté socialement. Mais “assez” dépend de l’endroit où l’on se trouve. Dans une école américaine typique, les standards pour être “cool” sont si élevés (ou plutot, si spécifiques), que l’on n’a pas besoin d’être particulièrement maladroit pour avoir l’air maladroit en comparaison.

Peu d’enfants intelligents peuvent fournir l’attention requise par la popularité. A moins qu’ils soient aussi, en plus, beaux, des athlètes naturels ou qu’ils fassent partie de la famille d’enfants populaires, ils tendront à devenir des nerds. Et c’est pour ca que la vie des gens intelligents est la pire entre, disons, 11 et 17 ans. La vie à cette époque tourne beaucoup plus autour de la popularité que n’importe quand avant ou après.

Avant cela, la vie des enfants est dominée par leurs parents, pas par les autres enfants. Les gamins de l’école primaire font attention à l’opinion de leur semblables, mais ce n’est pas toute leur vie, comme ca le devient par la suite.

A peu près vers 11 ans, pourtant, les enfants commencent à considérer leur famille comme un petit boulot. Ils créent un nouveau monde entre eux, et faire partie de ce monde est ce qui compte, pas faire partie de leur famille. D’ailleurs, avoir des problèmes avec leur famille peut même leur faire gagner des points dans le monde qui les intéresse.

Le problème, c’est que le monde que ces enfants créent pour eux mêmes est très rudimentaire au début. Si vous laissez une poignée d’enfants de onze ans livrés à eux mêmes, ce que vous obtenez c’est “Sa Majesté Des Mouches”. Comme beaucoup de gosses américains, j’ai lu ce livre à l’école. A priori, ce n’est pas une coincidence. A priori, quelqu’un voulait nous montrer à quel point nous étions des sauvages, et que nous nous étions construit un monde cruel et stupide. C’était trop subtil pour moi. Bien que le livre ait semblé tout à fait crédible, je n’ai pas capté le message. J’aurais préféré qu’on nous dise de but en blanc que nous étions des sauvages et que notre monde était con.

Les nerds trouveraient leur manque de popularité plus supportable si il consistait seulement en ce qu’on les ignorat. Malheureusement, être impopulaire à l’école, ca veut dire être persécuté activement.

Pourquoi ? Encore une fois, n’importe qui qui soit encore à l’école trouverait la question bizarre. Comment pourrait il en être autrement ? Mais ca le pourrait. Les adultes ne persécutent pas les nerds. Pourquoi les ados le font ils ?

C’est en partie parceque les ados sont encore à moitié enfants, et que beaucoup d’enfants sont intrinsèquement cruels. Certains torturent les nerds pour la même raison qui fait qu’ils arrachent les pattes des araignées. Avant de développer une conscience, la torture, c’est marrant.

Une autre raison pour laquelle les enfants persécutent les nerds, c’est parceque ca les fait se sentir mieux. Quand vous nagez, vous vous tirez en avant en poussant l’eau vers l’arrière. De la même manière, dans toute hiérarchie sociale, les gens peu surs de leur propre position essayeront de l’affirmer en maltraitant ceux qu’ils jugent être en dessous d’eux. J’ai lu que c’était la raison pour laquelle les blancs pauvres était le groupe social américain le plus hostile aux noirs.

Mais je crois surtout que la raison pour laquelle les autres enfants persécutent les nerds, c’est parceque c’est l’un des mécanismes de la popularité. La popularité ne concerne que partiellement l’attractivité personelle. Elle se rapporte beaucoup plus aux alliances. Pour devenir plus populaire, on doit faire constament des choses qui nous rapprochent d’autres personnes populaires, et rien ne rapproche plus les gens qu’un ennemi commun.

Exactement comme un politicien qui, voulant détourner l’attention des votants d’une crise interne, pourra créer un ennemi s’il n’en existe pas (Saddam, anyone ?). En singularisant et en persécutant un nerd, un groupe d’enfants plus hauts dans la hiérarchie populaire crée des liens entre eux : attaquer quelqu’un qui est hors du groupe les fait intrinsèquement entrer dans le groupe. C’est pourquoi les pires cas de brutalités sont le fait de groupes. Demandez à n’importe quel nerd : le traitement infligé par les groupes est nettement pire d’un groupe que les persécutions d’une brute seule, aussi sadique soit elle.

Si cela peut consoler les nerds, ca n’a rien de personnel. Le groupe d’enfants qui se réunit pour vous faire chier font la même chose, et pour la même raison, qu’un groupes de types qui se réunissent pour aller chasser. Ils ne vous haïssent pas vraiment. Ils ont juste besoin de gibier.

Parcequ’ils sont en bas de l’échelle, les nerds sont une cible sans risque pour l’école toute entière. Si je me rappelle bien, les enfants les plus populaires ne persécutent pas les nerds ; ils n’ont pas besoin de s’abaisser à ce genre de chose. La plus grande partie des persécutions vient d’enfants plus bas qu’eux, la classe moyenne.

Le problème, c’est qu’ils sont nombreux. La distribution de la popularité n’est pas une pyramide, mais elle rétrécit en bas, comme une poire : le groupe le plus impopulaire est plutot réduit (je crois que nous étions la seule table D sur notre carte de la caféteria). Ainsi, il y’a plus de gens qui veulent emmerder les nerds qu’il n’y a de nerds.

En plus de gagner des points en se distançant des gosses impopulaire, on perd des points en étant proches d’eux. Une femme que je connais dit qu’au lycée elle aimait bien les nerds, mais qu’elle avait peur d’être vue en train de leur parler parceque les autres filles se seraient foutues d’elle. L’impopularité est une maladie contagieuse ; même les enfants trop gentils pour taper sur les nerds les ostracisent pour se protéger.

Ce n’est donc pas étonnant, sachant cela, que la vie des enfants intelligents aie tendance à être malheureuse en fin de collège / début de lycée. Leurs autres interêts leur laisse peu d’attention envers la popularité, et comme elle ressemble à un jeu de sommes nulles, cela les transforme automatiquement en cibles pour l’école toute entière. Et ce qui est étrange, c’est que ce scénario de cauchemar se réalise sans aucune malice consciente, mais juste parceque telle est la forme de la situation.

Pour moi, la pire période fut la cinquième, quand la culture entre enfants était nouvelle et dure, et que la spécialisation qui à terme séparerait les enfants intelligents des autres commencait à peine. Presque toutes les personnes à qui j’aie parlé s’accordent sur ce point : le nadir se situe quelque part entre 11 et 14 ans.

J’avais 12 ans à l’époque. Il y’eut un évènement notable mais bref cette année, quand une de nos profs entendit un groupe de filles parler entre elles en attendant le bus, et fut si choquée qu’elle dévoua le lendemain tout son cours à une plaidoierie éloquente afin de nous demander de ne pas être si cruels les uns vis a vis des autres.

Ca n’eut pas d’effet notable. Ce qui m’a frappé à l’époque, ce fut qu’elle ait été surprise. Vous voulez dire qu’elle ne savait pas le genre de choses qu’on se disait entre nous ? Vous voulez dire que ce n’est pas normal ?

Il est important de réaliser que non, les adultes ne savent pas ce que les enfants se font entre eux. Ils savent, d’une manière abstraite, que les enfants sont monstrueusement cruels les uns envers les autres, de la même manière que nous savons de manière abstraite que des gens sont torturés dans les pays pauvres. Mais, comme nous, ils n’aiment pas s’attarder sur ce triste état de fait, et ne voient pas de preuves d’abus spécifiques tant qu’ils ne vont pas les chercher.

Les profs sont à peu près dans la même position que les matons de prison. Le principal souci des matons est de garder les détenus dans la prison. Ils doivent aussi les nourrir, et autant que faire se peut les empecher de s’entretuer. A coté de ca, ils veulent avoir le moins possible affaire avec les prisonniers, alors ils les laissent créer l’organisation sociale qu’ils veulent, quelle qu’elle soit. De ce que je sais, la société créée par les détenus est tordue, sauvage, envahissante, et ce n’est pas du tout drôle d’y être en bas.

Grossièrement, c’était pareil dans les écoles que j’ai fréquenté. La chose la plus importante était de rester dans les locaux. Tant qu’on y était, les authorités nous nourrissaient, empêchaient la violence ouverte, et faisaient quelques efforts pour nous apprendre des choses. Mais à coté de ca, elles voulaient avoir le moins affaire aux gosses que possible. Comme les matons, les profs nous laissaient à nous mêmes la plupart du temps. Et, comme les prisonniers, la culture que nous avons créé était barbare.

Pourquoi est-ce que le monde réel est plus vivable pour les nerds ? Il pourrait sembler que la réponse est simplement qu’il est peuplé d’adultes, qui sont trop murs pour se chercher les uns les autres. Mais je ne crois pas que c’est vrai. Les adultes en prison se persécutent les uns les autres. Ainsi, apparement, que les femmes “de société” ; dans certaines parties de Manhattant, la vie des femmes semble être une prolongation du lycée, avec les mêmes intrigues à deux francs.

Je pense que la chose la plus importante à propos du monde réel n’est pas qu’il est peuplé d’adultes, mais qu’il est très grand, et que les choses que l’on y fait on des vrais effets. Voila ce dont les écoles, les prisons, et les diners mondains manquent. Les habitants de ces mondes sont piégés à l’intérieur de petites bulles ou rien qu’ils fassent n’a un effet plus large qu’au niveau local. Il est naturel que ces sociétés dégénèrent vers la sauvagerie. Elles n’ont pas de fonction que leur forme puisse suivre.

Quand les choses que vous faites on des effets réels, ils n’est plus suffisant de plaire. Il devient important d’avoir les réponses exactes, et c’est là que les nerds sont avantagés. Bill Gates en est l’exemple le plus parlant. Bien que connu pour manquer de compétences sociales, il a les bonnes réponses, au moins si l’on les mesure en termes de revenus.

L’autre chose qui est différente à propos du monde réel est qu’il est beaucoup plus grand. Dans un ensemble assez grand, même les plus petites minorités peuvent atteindre une masse critique si elles se rassemblent. Dans le monde réel, les nerds se réunissent dans des lieux particuliers et forment leurs propres sociétés où l’intelligence est la chose la plus importante. Parfois les evenements commencent à partir dans l’autre direction : parfois, particulièrement dans les départements maths et sciences des facs et des prépas, les nerds exagèrent volontairement leur maladresse afin de paraitre plus intelligents. John Nash admirait tellement Norbert Wiener qu’il a adopté son habitude de toucher le mur des couloirs qu’il parcourait.

Quand j’avais 13 ans, je n’avais pas beaucoup plus d’expérience du monde que ce que j’en voyais autour de moi. Le petit monde tordu dans lequel nous vivions était, pensais-je, le monde. Le monde semblait cruel et chiant, et je ne sais pas lequel des deux était pire.

Parceque je ne rentrais pas dans ce monde, je pensais que je devais avoir un problème. Je ne réalisais pas que la raison pour laquelle nous autres nerds ne nous sentions pas à notre aise dedans était que nous avions un pas d’avance. Nous pensions déja au genre de chose qui compte dans le monde réel, au lieu de passer notre temps à jouer au même jeu harassant mais néanmoins sans interêt que les autres.

Nous étions un peu comme ce que serait un adulte si il se retrouvait catapulté au collège. Il ne saurait pas quelles fringues il faut porter, quelles musiques il faut écouter, quelles expressions il faut utiliser. Pour les autres enfants, il semblerait totalement étranger. Le truc, c’est qu’il en saurait assez pour se foutre de ce que les autres penserait. Nous n’avions pas ce genre de confiance.

Beaucoup de gens semblent penser qu’il est bon pour les enfants intelligents d’être mêlés à des enfants “normaux” durant cette période de leur vie. Peut être. Mais dans au moins certains cas, la raison pour laquelle les nerds ne s’intègrent pas est que tous les autres sont fous. Je me souviens d’avoir été assis dans le public d’un “pep rally” (pep rally = le spectacle donné par les cheerleaders pour encourager leur équipe) au lycée, et d’avoir regardé les cheerleaders jeter une effigie d’un joueur adverse dans le public pour qu’elle y soit mise en pièce. J’avais l’impression d’être un explorateur témoin d’un rituel tribal bizarre.

Si je pouvais revenir en arrière et donner des conseils à mon moi de 13 ans, la première chose que je me dirais serait de lever un peu les yeux et de regarder autour de moi. Je ne m’en rendais pas du tout compte à l’époque, mais le monde dans lequel nous vivions était aussi faux qu’un billet de 3 dollars. Pas juste l’école, mais la ville toute entière. Pourquoi les gens déménagent ils en banlieue ? Pour avoir des enfants ! Pas étonnant que cela semble si chiant et stérile. L’endroit tout entier était une garderie géante, une ville artificielle créer explicitement dans le but d’élever des enfants comme du bétail.

Où j’ai grandi, il semblait qu’il n’y avait nulle part où aller, et rien à faire. Ce n’était pas un accident. Les banlieues sont conçues délibérément pour exclure le monde exterieur, parcequ’il contient des choses qui pourraient mettre les enfants en danger.

Quant aux écoles, elles étaient juste des enclos à l’intérieur de ce monde bidon. Officiellement le but des écoles est d’enseigner aux enfants. En fait, leur but principal est des tous les garder au même endroit pendant un bon gros bout de la journée pour que les adultes puissent faire des choses. Et je n’y vois pas d’inconvénient : dans une société industrielle spécialisée, ce serait un désastre d’avoir des enfants en liberté partout.

Ce qui me gêne, ce n’est pas que les enfants soient emprisonnés, mais que (a) on ne le leur dise pas, et (B) que les prisons soient gérées principalement par les détenus. Les enfants sont envoyés passer six ans à mémoriser des faits n’ayant pas le moindre sens dans un monde dirigé par une caste de géants qui courent après un ballon ovale, comme si c’était la chose la plus naturelle du monde. Et s’ils se dérobent à ce cocktail surréaliste, on les appelle des bons à rien, des marginaux.

La vie dans ce monde détraqué est pleine de stress pour les enfants. Et pas seulement pour les nerds. Comme toutes les guerres, elle est également nuisible aux gagnants.

Les adultes ne peuvent pas ne pas voir que les ados sont tourmentés. Alors pourquoi ne font ils rien à ce sujet ? Parcequ’ils en accusent la puberté. La raison pour laquelles les enfants sont si malheureux, se disent les adultes, ce sont ces monstrueuses et nouvelles substances chimiques, les hormones, qui se déversent à présent dans leur sang, déreglant tout sur leur passage. Il n’y a rien de mal dans le système, c’est juste inévitable que les gosses se sentent mal à cet age.

Cette idée est tellement envahissante que même les gosses y croient, ce qui n’aide probablement pas. Quelqu’un qui pense que ses pieds lui font mal naturellement ne s’arrêtera pas pour considérer la possibilité que peut être il porte des chaussures trop petites.

J’ai des doutes concernant cette théorie selon laquelle les enfants de 13 ans sont intrinsèquement déreglés. Si c’est physiologique, cela devrait être universel. Est-ce que les nomades mongols sont tous nihilistes à 13 ans ? J’ai lu beaucoup d’histoire, et je ne crois pas avoir trouvé une seule référence à ce supposé fait universel avant le vingtième siècle. Les apprentis de la Renaissance semblent avoir été joyeux et passionés. Ils se battaient et se jouaient des tours entre eux, biensur (Michelange s’est fait casser le nez par une brute), mais ils n’étaient pas tarés.

De ce que je vois, le concept de l’ado traumatisé par ses hormones est contemporain à la création des banlieues. Je ne crois pas que cela soit une coincidence. Je crois que les ados sont rendus fous par la vie qu’on leur fait mener. Les apprentis de la Renaissance travaillaient comme des chiens. Les ados d’aujourd’hui sont des chiens de manchon névrosés. Leur folie est la folie des oisifs du monde entier.

Quand j’étais à l’école, le suicide était un sujet constant entre les enfants plus intelligents. Personne que je connaisse ne l’a vraiment fait, mais plusieurs en avaient envie, et quelques uns ont pu essayer. C’était principalement de la frime. Comme tous les ados, nous aimions le spectaculaire, et le suicide semblait très spectaculaire. Mais c’était aussi en partie parceque nos vies de l’époque étaient authentiquement misérables et malheureuses.

Les persécutions n’étaient qu’une partie du problème. Un autre problème, et peut être encore plus important, était que nous n’avions rien de réel sur quoi travailler. Les humains aiment travailler ; dans la plus grande majorité du monde, votre travail c’est votre identité. Et tout le travail que nous faisions était inutile, ou du moins cela le semblait à l’époque.

Au mieux, c’était un entrainement au vrai travail que nous aurions à faire dans un futur éloigné, tellement éloigné que nous ne savions même pas à l’époque pour quoi nous nous entrainions. Le plus souvent, c’était juste une série de cerceaux dans lesquels sauter, des mots sans contenu conçus principalement pour leur faculté à être contrôlés (Les trois raisons principales de la guerre Franco - Indienne sont…Contrôle : Faites la liste des trois principales causes de la guerre Franco - Indienne)

Et il n’y avait pas d’autre option. Les adultes avaient admis entre eux que c’était la meilleure route pour l’université. La seule façon d’échapper à cette existence vide était de s’y soumettre.

Les ados dans l’histoire avaient un role plus actif dans la société. A l’époque préindustrielle, ils étaient tous apprentis d’un métier ou d’un autre, que ce soit dans un magasin, une ferme ou même un bateau de guerre. Ils n’étaient pas laissés pour compte, on ne les laissait pas créer leurs propres sociétés. Ils étaient des jeunes membres de sociétés adultes.

Les ados semblent avoir plus respecté les adultes par le passé, parceque les adultes étaient les experts visibles dans les compétences qu’ils essayaient d’apprendre. Aujourd’hui la plupart des enfants n’ont qu’une vague idée de ce que leurs parents font dans leurs lointains bureaux, et ne voient aucune connexion (et, de fait, il y’en a vraiment peu) entre leur travail à l’école et le métier qu’ils feraient une fois adulte.

Et si les jeunes respectaient plus les adultes, les adultes trouvaient aussi plus d’utilité dans les jeunes. Après une ou deux années d’entrainement, un apprenti pouvait être une véritable aide. Même au plus bleu des apprentis on pouvait faire porter des messages ou balayer l’atelier.

De nos jours, les adultes n’ont pas de rôle immédiat pour les ados. Ils seraient une gêne au bureau. Alors ils les déposent à l’école en allant travailler, un peu comme ils déposeraient le chien dans un chenil avant de partir en vacances.

Qu’est-ce qui s’est passé ? Question difficile que celle là. La raison de ce problème est la même que la raison de nombreux maux : la spécialisation. Comme les métiers deviennent de plus en plus spécialisés, il faut être entrainé de plus en plus longtemps avant de pouvoir s’y atteler. Les enfants des époques préindustrielles commencaient à travailler a 14 ans pour les plus agés, dans les fermes où habitaient la plupart des gens, ils commencaient beaucoup plus tot (ndt : dans les mines et usines, au 18°, on voyait souvent des enfants de 5 ans, parfois meme moins). Aujourd’hui, les enfants qui vont à l’université ne commencent pas à travailler à plein temps avant d’avoir 21 ou 22 ans. Dans certains diplomes, vous pouvez ne pas finir vos études avant d’avoir 30 ans, age proche de l’espérance de vie moyenne au moyen age.

Les ados aujourd’hui n’ont pas la moindre utilité, à part comme main d’oeuvre à bas pris dans des industries comme celle des fast food, qui ont évolué pour exploiter ce fait précis. Dans presque n’importe quel autre type de travail, ils seraient une perte sèche. Mais ils sont aussi trop jeunes pour être laissés à eux même. Quelqu’un doit les surveiller, et la facon la plus efficace de le faire et des les réunir au même endroit. Ainsi une poignée d’adultes peut tous les surveiller.

Si l’on s’arrête ici, ce que l’on décrit est littéralement une prison, enfin une prison à temps partiel. Le truc, c’est que beaucoup d’écoles s’arrêtent effectivement ici. Le but officiel des écoles est d’éduquer les enfants. Mais il n’y a aucune pression extérieure de le faire. Et donc beaucoup d’écoles sont tellement abominables du point de vue de cet apprentissage que les enfants ne le prennent pas au sérieux - pas même les enfants intelligents. La plupart du temps nous ne faisions tous, profs comme élèves, que suivre le mouvement.

Dans mon cours de français au lycée, nous étions sensés lire Les Misérables, de Hugo Victor. Je ne pense pas que qui que ce soit parmi nous n’ait connu assez de français pour nous débrouiller dans cet énorme livre. Comme le reste de la classe, j’ai juste parcouru les Cliff’s Notes (résumés de livres). Quand on nous a donné un devoir sur le livre, j’ai remarqué que les questions semblaient bizarres. Elles étaient pleines de longs mots que notre professeur n’aurait pas employé. D’où venaient ces questions ? Des Cliff’s Notes. Le prof aussi les utilisait. Nous faisions tous semblant.

Certains de nos profs ont vraiment essayé de nous enseigner des choses, ce qui était d’autant plus impressionant si l’on considère les conditions dans lesquelles ils devaient travailler (je voudrais m’excuser ici, Mr Drum, de ne pas avoir plus appris dans votre excellent cours d’arithmétique). Mais c’étaient des individus qui nageaient à contre courant. Ils ne pouvaient pas réparer le système.

Dans presque tous les groupes de gens, on trouve une hiérarchie. Quel que soit le but du groupe, ceux qui en sont à la tête sont ceux qui y sont les meilleurs. Dans une équipe de foot professionel, les joueurs les plus talentueux sont les plus respectés. Dans le département maths d’une université, les premiers seront ceux qui auront fourni les résultats les plus significatifs. Et, en gros, c’est sain. La hiérarchie n’est pas le problème en soi. Le problème, c’est sur quoi les hiérarchies sont fondées à l’école.

Quand des groupes d’adultes se forment dans le monde réel, c’est généralement dans un but commun. Les leaders finissent par être ceux qui le maitrisent le mieux. Le problème est que, comme on l’a vu, la plupart des écoles n’ont pas de but. Leur but ostensible, la scolarité, est une blague, qui n’est même pas prise au sérieux par ceux qui y sont bons. Mais une hiérarchie il doit y avoir, alors les gamins en créent une à partir de rien.

Nous avons une expression pour décrire ce qui arrive quand des classements doivent être faits sans aucun critère valable. On dit que la situation dégénère en concours de popularité. Et c’est exactement ce qui se produit dans la plupart des écoles américaines. Comme le groupe n’a pas de but réel, il n’y a pas de mesure naturelle de performance d’où dériver un statut. Au lieu de déprendre de tests réels, le rang de chacun finit par dépendre principalement de la capacité de chacun à améliorer son propre rang. Comme à la cour de Louis XIV. Il n’y a pas d’opposant extérieur, alors les enfants deviennent leurs propres opposants dans une inexorable compétition.

Ceux qui en souffrent le plus sont les enfants qui seraient les plus heureux si le but de l’école était vraiment ce lui qu’elle affirme avoir. Le jeu de la somme zéro fait mal à tous les joueurs, mais il est encore plus pénible pour les nerds, parcequ’ils ne le jouent qu’a temps partiel.

Quand il y’a un véritable test de compétence, il n’est pas pénible d’être à la base de la hiérarchie. Un novice dans une équipe de football n’est pas offensé par les aptitudes du veteran, il espère jouer aussi bien que lui un jour et il est content d’avoir la chance d’apprendre de lui. Et à son tour le vétéran sera amical vis à vis du novice. Son succès lui donne un sentiment de noblesse oblige : il est probablement aussi enclin à partager son expérience que le novice l’est à la recevoir. Et, plus important, leur statut à tous les deux dépend de la qualité de leur jeux et de la manière dont ils se comportent face à leurs adversaires, pas à la manière dont ils se rabaissent l’un l’autre.

Les hiérarchies de cour sont complètement différentes. Ce type de société rabaisse tous ceux qui y entrent. Il n’y a pas d’admiration en bas, ni de noblesse oblige en haut. C’est tuer ou être tué.

C’est le genre de société qui est établi par défaut dans les lycées américains. Et cela arrive parceque ces écoles n’ont pas d’autre but que de garder tous les enfants dans un même enclos pendant un certain nombre d’heures chaque jour. Ce que je ne réalisais pas à l’époque, et qu’en fait je n’ai réalisé que récemment, c’est que les deux horreurs de la vie scolaire, la cruauté et l’ennui, ont toutes les deux la même cause.

La médiocrité des écoles publiques américaines a des conséquences pires que de juste rendre les enfants malheureux pendants six ans. Elle engendre une rébellion qui amène activement les enfants à repousser les choses qu’ils sont supposés apprendre.

Comme beaucoup de nerds, probablement, je n’ai pu pendant des années me résoudre à lire quoi que ce soit qui m’ait été assigné à l’école. Je n’ai pas pu affronter Macbeth avant mes 24 ans, et le livre porte encore cette mauvaise odeur. Même aujourd’hui, je ne sais pas si je n’aime pas Hemingway, Faulknet et Steinbeck parcequ’ils sont des écrivains américains pompeux, ou si c’est parceque l’on mes les a fait lire à l’école.

J’ai perdu plus que des livres. Je ne faisais plus confiance à des mots comme “caractère” ou “intégrité” parcequ’ils avaient été complètement pervertis par les adultes. Lorsqu’ils étaient utilisés alors, ces mots semblaient tous dire la même chose : obéissance. Les enfants qui étaient encensés d’avoir ces qualités étaient toujours au mieux des bovins de concours sans cerveau, ou au pire des lèches culs de base. Si ca c’était du caractère et de l’intégrité, je n’en voulais pas.

Le mot que j’ai le plus mal compris, c’est “tact”. Utilisé par les adultes, il semblait vouloir dire fermer sa gueule. Sur la base de cette interprétation j’ai inventé une étymologie de ce mot. J’assumai qu’il était dérivé de la même racine que “tacite” et “taciturne”, et qu’il voulait littéralement dire être silencieux. Je me jurai de ne pas avoir de tact, et qu’ils ne me feraient jamais taire. En fait, le mot “tact” est dérivé de la même racine que “tactile”, et cela veut dire être adroit. Avoir du tact, c’est l’opposé d’être maladroit. Je crois que je n’ai pas appris cela avant l’université.

Ce n’est pas le pire mauvais tour que m’ait joué l’école, ceci dit. Comme tout le monde à l’école semblait considérer l’université comme une forme d’apprentissage du travail, je décidai de suivre le cursus le plus malcommode que je puisse imaginer : la philosophie. Hélas, je l’ai vraiment fait.

Les nerds ne sont pas les seuls perdants dans la course sans fin à la popularité. Les nerds sont impopulaires parcequ’ils en sont distraits. Il y a d’autres enfants qui choisissent délibérément d’en sortir parcequ’ils sont dégoutés de son intégralité.

Les ados, même rebelles, n’aiment pas être seuls, alors quand des ados décident de sortir du système, ils tendent à le faire en groupe. Dans les écoles dont j’ai fait partie, le centre de la rebellion était l’usage de drogue, de marijuana pour être exact. Les ados de cette tribu portaient des t-shirts de concerts noirs et on les traitait de défoncés ou de toxs. (ndt : /me sifflote)

Les toxs et les nerds étaient alliés, et les deux ensembles étaient assez superposés l’un à l’autre. Les toxs étaient pour la plupart plus intelligents que la moyenne, bien que le fait qu’ils n’étudiassent jamais, ou au moins qu’ils n’aient jamais l’air de le faire, avait une valeur tribale importante. J’étais plutot dans le camp des nerds, mais j’avais beaucoup d’amis toxs.

Ils utilisaient les drogues, au moins au début, pour les liens sociaux qu’elles tissaient. C’était quelque chose à faire ensemble, et parceque les drogues étaient illégales, c’était un badge de rébellion partagée.

Je ne dis pas que les mauvaises écoles sont la seule raison pour laquelle les ados ont des problèmes avec la drogue. Au bout d’un moment, les drogues ont leur propre inertie. Il ne fait aucun doute que certains des toxs ont en définitive utilisé des drogues pour échapper à d’autres problèmes - des problèmes familiaux par exemple. Mais, dans mon école au moins, la raison pour laquelle la plupart des ados ont commencé à en prendre, c’était la rébellion. Les gosses de 14 ans ne commencent pas à fumer de l’herbe parcequ’ils ont entendu que ca les aiderait à oublier leurs problèmes. Ils commencent pour rejoindre une tribu différente.

Un mauvais gouvernement engendre la révolte ; ce n’est pas une idée neuve. Et pourtant les autorités continuent à agir comme si la drogue elle même était une cause du problème.

Le véritable problème, c’est la vacuité de la vie scolaire. Nous ne verrons pas de solutions tant que les adultes ne réaliseront pas qu’il y’a un problème. Les adultes qui pourraient réaliser cela les premiers sont ceux qui furent eux mêmes des nerds à l’école. Voulez vous que vos enfants soient aussi malheureux que vous en quatrième ? Pas moi. Et alors, pouvons nous faire quelque chose pour réparer les choses ? Certainement. Il n’y a rien d’inévitable dans le système actuel. Il est principalement arrivé là par défaut.

Mais les adultes ont du travail. Etre là pour la pièce de l’école c’est une chose. S’attaquer à la bureaucratie scolaire, c’en est une autre. Peut être qu’une poignée d’entre eux auront l’énergie pour essayer de changer les choses. Je crois que le plus difficile est de réaliser que c’est possible.

Les nerds qui sont encore à l’école ne devraient pas se réjouir trop vite. Peut être qu’un jour une force armée d’adultes viendre vous sauver en hélicoptère, mais a priori, pas avant le mois prochain au moins. Si les nerds veulent une amélioration immédiate de leur vie, ils devront probablement y travailler eux mêmes.

Le seul fait de comprendre la situation dans laquelle ils sont devrait la leur rendre moins pénible. Les nerds ne sont pas des losers. Ils jouent juste à un jeu différent, un jeu beaucoup plus proche de celui auquel on joue dans le monde réel. Les adultes le savent. Il est difficile de trouver des adultes ayant réussi leur vie qui n’avouent pas avoir été des nerds au lycée.

Il est aussi important pour les nerds de réaliser que l’école n’est pas la vie. L’école est une chose artificielle étrange, mi stérile, mi sauvage. Elle imprègne tout, comme la vie, mais ce n’est pas la vraie vie. C’est seulement temporaire, et si vous ouvrez les yeux, vous pourrez voir plus loin qu’elle, même en étant encore dedans.

Si la vie semble atroce aux adolescents, ce n’est pas parceque les hormones vous transforment tous en monstres (comme le croient vos parents), ni parceque la vie est effectivement atroce (comme vous le croyez). C’est parceque les adultes, pour qui vous n’avez plus d’utilité économique, vous ont abandonnés à passer quelques années parqués ensembles à ne rien faire. Toutes les sociétés de ce type sont horribles à vivre. Le rasoir d’Occam nous dit qu’il n’y a pas à chercher plus loin les raisons pour lesquelles les ados sont tourmentés et malheureux.

J’ai dit des choses dures dans ce texte, mais en réalité ma thèse est optimiste - que nombre de problèmes que nous tenons pour acquis ne sont après tout pas si insolubles. Les teenagers ne sont pas nécessairement des monstres malheureux. Ca devrait être une nouvelle encourageante, à la fois pour les enfants et pour leurs parents.

À la suite de ce texte, l’auteur a reçu beaucoup de courriers de lecteurs. Il a donc fait un addendum sous la forme d’une FAQ que kobal2 a aussi traduit :

[quote]
Notes post-scriptum

De nombreuses personnes m’ont écrit au sujet de ce texte, et beaucoup d’autres semblent en discuter sur des sites Web variés. Voici mes réponses à certains points relevés

Ce n’était pas comme ça dans mon école

Certains de mes amis qui ont été dans des écoles privées ou dans l’une des quelques écoles privées authentiquements bonnes disent que les choses étaient très différentes pour eux.

Ce dont je parle dans ce texte, c’est la situation dans le collège/lycée américain moyen. Je suis certain de cela, parceque j’y ai été.

Le truc qui fait peur, c’est que les écoles où j’ai été étaient probablement au dessus de la moyenne. Mes parents avaient choisi cette banlieue où nous vivions parceque les écoles étaient réputées bonnes (en tant que nouveaux immigrants venus d’Angleterre, il n’avaient aucune idée de combien le bon était mauvais)

J’étais intelligent mais je n’étais pas un nerd à l’école.

Les enfants intelligents ne se transforment pas nécessairement en nerds. Si vous avez une belle gueule, si vous êtes sportif naturellement ou si vous faites partie de la famille d’un enfant populaire, vous aurez plein de points de popularité gratuite.

Je crois aussi que les filles ont moins tendances a devenir des nerds que les garçons, à intelligence équivalente, peut être parcequ’elles sont plus sensibles aux pressions sociales. Dans mon école en tout cas, les filles faisaient plus d’efforts de conformisme que les garçons.

Est-ce que le cerveau des enfants intelligents est différent ?

Deux personnes ont dit qu’il pouvait y avoir quelque chose de neurologiquement différent chez les gens intelligents, par exemple que si les enfants intelligents passaient leur temps à lire des livres au lieu de parler à des gens, c’était moins parcequ’ils aimaient les livres que parcequ’ils n’aimaient pas les gens.

Dans le texte j’ai délibérément évité de prendre position sur ce point, j’ai simplement dit qu’ils aimaient l’un plus que l’autre, sans chercher a expliquer pourquoi.

Dans mon expérience, je dirais que bien que certains enfants intelligents puissent être à la limite de l’autisme, cela ne peut en soit expliquer la correlation intelligent/nerd, parcequ’il y’a aussi beaucoup de nerds qui sont très bavards. De fait, l’une des tares caractéristiques des nerds est la dépendance aux discussions sur les newsgroups.

Les nerds le méritent.

Une autre chose qui revient souvent est que les nerds méritent d’etre impopulaires parcequ’ils sont si désagréables. C’est souvent vrai. Le texte ne pose pas la question de savoir si oui ou non les nerds meritent d’etre impopulaires, mais seulement de pourquoi ils le sont. Certainement, certaines des compétences sociales que les nerds évitent d’apprendre sont objectivement désirables.

Certains nerds restent insupportables adultes. Je connais plusieurs personnes très intelligentes à qui je ne pourrais pas parler plus de quelques minutes. Je ne crois pas que ca soit une bonne chose que les gens intelligents soient parfois désagréables. Toutefois, je m’en tiens à ma déclaration comme quoi les nerds jouent un jeu beaucoup plus proche de celui joué dans le monde réel. Dans le monde réel, on peut très bien réussir en étant un véritable trou du cul.

Les écoles publiques sont concues pour être mauvaises.

Plusieurs personnes ont suggéré que j’avais lu des articles de John Taylor Gatto, par exemple son Six Lesson Schoolteacher.

L’idée existe selon laquelle les écoles publiques sont conçues délibérément afin de créer des conformistes sans cerveau. Je n’y crois pas. Je pense que les écoles publiques sont ce que l’on obtient par défaut. Si vous construisez un grand batiment dans une banlieue et que vous y enfermez les enfants les jours dans semaine sous légide d’une poignée d’adultes surmenés et souvent peu inspirés, il en sortira des conformistes débiles. Il n’y a pas besoin d’inventer une conspiration.

Je crois que tout ce qui va mal dans les écoles peut être attribué au manque d’une force extérieure les poussant à être bonnes. Il n’y a pas de compétitions entre elles (a part en sport, domaine dans lequelles elles deviennent effectivement bonnes). Les parents, bien qu’ils choisissent de vivre dans telle ou telle banlieue selon la qualité des écoles, ne demandent rien de plus aux écoles. Les départements d’admission aux universités, au lieu de demander plus aux bonnes écoles, compensent activement leurs manquements, elles attendent moins des élèves d’écoles inférieures, et ce n’est que justice. Les tests standardisés sont explicitement (meme si sans succès) conçus pour être des tests d’aptitudes plutot que de préparation.

De la fonction dérive la forme. Tout évolue vers une forme dictée par les demandes qu’on y place. Et personne ne demande quoi que ce soit de plus aux écoles que de garder les enfants hors des rues jusqu’a ce qu’ils aient l’age de l’université. Et c’est ce qu’elles font. Dans mon école, il était facile de ne rien faire, mais il était difficile de sortir du batiment sans se faire choper.[/quote]Personnellement, j’ai trouvé ce texte d’autant plus intéressant que certains traits sont aussi transposables à nos chères écoles françaises. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ça donne à réfléchir. Donc n’hésitez pas à poster vos avis sur le sujet qui découle son essai, à savoir,

Quel est le rôle imparti à l'adolescent dans nos sociétés au XXème siècle ? N'est-ce pas de celui-ci que découle cette fameuse "crise" ? [/quote][i]Ce message a été édité par xentyr le 02/07/2003[/i]

Je l’ai lu hier soir sur le site de kobal2, et je trouve l’analyse ultra-pertinante et criante de vérité. C’est “un peu” applicable au écoles Francaises. Enfin, disons que j’ai retrouvé cet état de fait uniquement au Lycée, en seconde. Bon ca dépend des endroits, je suppose, dans mon collège ou la plupart des élèves venaient de petit village de -+ 500 hab. (millieu assez rural quand même), ca n’existait pas trop. Par contre, au lycée, la plupart habitaient sur la côte Landaise (familles plutôt aisées, enfin beaucoup moins la déche qu’au collège), et là, les mentalités étaient totalement différentes.

Ben, à beaucoup moins grande échelle, dans le p’tit bled du trou du cul du sud de la Gelbique où j’ai été à l’école pendant la période dont il parle (de 12 à 16 ans) on retrouvait pas mal de points communs avec ce qu’il raconte. Peut-être pas exagéré comme ça mais je crois qu’il faudrait forwarder ce texte un peu partout car il est plein de bonnes idées… Cela dit, j’en ai fait l’expérience ces 2 dernières années, je sais pas si c’est une question de maturité de tout le monde qui évolue ou la mentalité de l’école où je suis maintenant, mais ce genre de conneries n’existe quasiment plus et les “dominants” dont il parle, genre ceux qui veulent faire les boss et emmerder le monde se font très vite remettre à leur place. N’empêche, c’est clair que l’adolescence c’est vraiment pas une partie de plaisir, pour qui que ce soit, heuresement qu’j’en suis sorti .

Merci Xentyr pour l’info, et merci à kobal2 pour la traduction, c’est pas si évident que ça à traduire.
Au début j’avais un peu peur que ça dérive en “ne maltraîtez pas les nerds à l’école”, mais j’ai été étonné de la pertinence de certaines réflexions sur le “collège/lycée standard aux USA”, et j’en profite pour donner mon ressenti “français/européen” de la chose.

Du temps où j’étais au collège, j’ai eu l’occasion de participer à un échange avec un collège américain, dans la banlieue (riche bien sûr) de Chicago. Pour situer, c’est le quartier où a été tourné “Maman, j’ai raté l’avion”, donc des barques immenses… et rien d’autre!
Ca, ça a été la première chose curieuse: il est impossible pour un ado d’aller ailleurs que dans la banlieue; sans voiture, y a pas moyen, y a pas de transport en commun, le vélo ne permet pas de parcourir les grandes distances, et y a pas de mob/scooter.
D’ailleurs, même pour aller à l’école ou chez des amis les ados doivent demander aux parents de les y transporter. Ca fait bizarre; exactement la sensation de “prison” décrite par l’auteur de l’essai. Ca surprend d’autant plus quand on a grandi dans une grande ville européenne, où les ados sont tolérés dans le centre ville.

La seconde, ça a été la high school: super cadre, locaux nickel pour les cours et le sport, horaires sympathiques, mais… peu de contenus éducatifs. Exemple: cours sur la Seconde Guerre Mondiale: le prof allume le magnéto (après les pubs obligatoires), lance une vidéo, et… voilà. Ah, si, une petite discussion de 5 minutes avec les élèves, dont certains s’étaient d’ailleurs couchés sur la moquette pour faire une sieste.  Je passe sur les contrôles qui étaient TOUS sous forme de QCM.

Du coup, j’ai compris assez rapidement l’importance de l’université américaine, qui doit combler un certain retard, par rapport aux années passées et aux autres pays; d’où les sacrifices financiers que n’hésitent pas à faire les familles.
Et effectivement, on cravache fort dans les facs US, ceux de mes amis qui y ont passé un semestre ou une année n’ont vraiment pas chomé, contrairement à l’enseignement supérieur en France.

Dernier point: un ami avec qui j’étais au collège et lycée est dorénavant pion/prof dans un collège (privé, et ce qu’il me décrit se rapproche dangereusement de certaines choses décrites plus haut, notamment les jeux de relation et l’importance du “paraître”, toujours croissante.

Est-ce que je souffre du syndrome “vieux-con” avec plein de “de-mon-temps-c’était-mieux” dedans?

En tout cas, bel effort de la part de l’auteur que d’avoir essayé de décrire au mieux l’état des établissements éducatifs standards et de la condition “adolescente” aux USA et d’en trouver quelques causes.
Ce message a été édité par koba le 02/07/2003

 

[quote]La seconde, ça a été la high school: super cadre, locaux nickel pour les cours et le sport, horaires sympathiques, mais… peu de contenus éducatifs. Exemple: cours sur la Seconde Guerre Mondiale: le prof allume le magnéto (après les pubs obligatoires), lance une vidéo, et… voilà. Ah, si, une petite discussion de 5 minutes avec les élèves, dont certains s’étaient d’ailleurs couchés sur la moquette pour faire une sieste.  Je passe sur les contrôles qui étaient TOUS sous forme de QCM.

Du coup, j’ai compris assez rapidement l’importance de l’université américaine, qui doit combler un certain retard, par rapport aux années passées et aux autres pays; d’où les sacrifices financiers que n’hésitent pas à faire les familles.
Et effectivement, on cravache fort dans les facs US, ceux de mes amis qui y ont passé un semestre ou une année n’ont vraiment pas chomé, contrairement à l’enseignement supérieur en France.

Ben pour ce qui est du niveau des cours à l'equivalent du lycée je suis pas sur. Mais j'ai hebergé chez moi un ricain pendant 2 semaines. (Ma mère avait vu un papier envoyé par l'ecole : "acceuil des ricains "... j'y ai pas coupé

Bref… j’ai ete obligé de me taper une correspondance avec lui.
on parlait de cours et il m’avait envoyé un de ses controles scanné.
 … C’etait un controle entier sur des equations du 1er degré.  (dans le genre  6X+3=O … et rien de plus dur … ah si … ¾X+2=1 peut etre …)

J’arrivais pas à y croire … il allait passer l’equivalent du bac quelques mois plus tard …

Alors je sais pas si c’etait une classe d’attardés mentaux … ou si la classe etait tellement naze que le prof avait fait un controle de revisions ou je sais pas …

Mais … °° quand meme …

Ce message a été édité par Spike le 02/07/2003

Bah, ça a l air de caler avec ce qui a été dit auparavant… D’ou le probleme dans les unif’s pour rattraper tout ça…

Pfiiouu long mais super intéressant !

Et finalment pas si éloigné de la situation du
système français (quoique).

Le fait que le nerd est rejetté viendrais pas de son lourd complexe de supériorité par hasard?
Je suis super intelligent, les autres sont des cons!
Et c’est parce qu’ils sont complexés vis a vis de moi que je suis rejetté!  

C’est peut etre surtout que la “culture informatique” interresse peut de monde non?
A qui parlé des heures de Rescue Raider sur Apple c si ce n’est a un autre passioné nerd .
Comme je disais a lagora une fois, je n’ai pas encore fait mon comming out geek!
Bien sur mes potes savent que je passe du temps sur mon pc mais ils doivent pensé quer je matte des sites de cul!  
Ils ne pourraient pas comprendre que l’on puisse passé des heures sur internet à faire autre chose que du p0rn.
Et plus tu t’enferre là dedans plus c’est dur d’en sortir.

De toute facon quand tu balance autant de personne d’origine differentes laissees a elles meme dans un endroit quelconque t’as toujours une hierarchie de “gens cools” et de “gens pas cool”. Quand cette hierarchie est faites par des gens qui decouvrent et commencent a comprendre ce que sont les interactions sociales en dehors de la maison et au dela de son cercle de pote (etre ado quoi) c’est forcement nawak.

[quote]
Je connaissais pas le texte, super interressant et qui correspond pas mal à des gens que j’ai connu au collège (autant dans la table des AB que des D limite E d’ailleurs)…

Bon, la forme : très bonne traduction, même si y a 2-3 trucs bizarres…

[quote]En plus de gagner des points en se distançant des gosses impopulaire, on perd des points en étant proches d’eux.
Carrément, dramatiquement vrai…

[quote](Les trois raisons principales de la guerre Franco - Indienne sont…Contrôle : Faites la liste des trois principales causes de la guerre Franco - Indienne)
Y a une guerre entre l’inde et la france ???

[quote]Et pourtant les autorités continuent à agir comme si la drogue elle même était une cause du problème.
no comment… C’est très juste…

Alors arrêtez de dire qu’en France ca ressemble pas aux USA… On est en plein dedans là (en tout cas c’est ce que j’ai ressenti dans mon collège de banlieue de merde…)

J’aurais aimé lire ce texte à ma naissance mais je l’aurais pas compris…