Tout va à vau-l’eau
Alors que je me réveille encore d’un sommeil brumeux entaché de rêves de rentrées catastrophiques, je ne puis que considérer d’un oeil morne les quelques jours qui me séparent à nouveau d’une vie sociale riche en évènements. Ah lointaine rentrée où je retrouverais le piaillement des élèves, le bruissement des cahiers que l’on couvre ou que l’on ouvre pour la première fois, le craquement des crayons qui grattent sur le papier, les chamaillement bon enfant des imbéci… des gamins se disputant le droit d’avoir telle ou telle place dans cette classe que j’aime tant. Que tout cela me semble loin et en même temps si proche.
Mais pour l’heure, ma série quotidienne de catastrophe m’assaille encore telle la puce avide du sang d’Enzo (Enzo c’est mon chat) sautant sur le dos de celui-ci avec un air vorace.
C’est ainsi avec ravissement que je constatai l’autre jour que mon magnétoscope m’avait bêtement lâché. Il ne veut plus lire les cassettes, ou alors par tranche de 3 secondes, ce qui est assez pénible quand tu veux regarder un film de 2 heures, puisque tu calculeras en même temps que moi qu’il faut appuyer sur la touche “play” environ 2400 fois. Alors que ce stupide engin ne me sert plus depuis plusieurs mois puisque je ne regarde absolument jamais la télé, je suis certain que tu vas me demander comment alors je me suis aperçu que cet objet inerte et bête avait décidé de jouer avec mes nerfs. C’est simple, je voulais tout béatement passer un bon moment devant une de ces cassettes où tous les acteurs sont nus. Note que 15 minutes du dit film m’auraient largement suffit, et donc j’étais presque près à tenter d’appuyer 300 fois sur la touche “play”, mais dans ce cas ça n’aurait pas été très pratique pour… Enfin, je ne te fais pas de dessin… Peine perdu donc, je ne pourrais pas assouvir mes pensées inavouables tant que ce bête incident technique prendra les trippes électroniques de mon lecteur.
Aussi pour l’heure, la nostalgie m’envahit-elle et mes pensées se tournent inlassablement vers le passé proche. Et tout en gratouillant Enzo sur le ventre, glissant ma main dans ses poils noirs et touffus, les brumeux sursaut de mémoire s’étiolent filandreusement à bord de la frêle embarcation contenant mes souvenirs, qui glisse tranquillement sur le fleuve paresseux de l’oubli.
Nom de Dieu que c’est beau.
Et alors que je ne savais pas quoi faire pour occuper ma morne et triste journée, je décidai d’écrire ce petit laius, destiné lui aussi aux oubliettes dès que tu en auras vu son auteur, mais vibrant hommage à la futilité du n’importe quoi.
Le festival de Marciac ayant jeté par delà ces vacances pluvieuses ses 15 jours de fêtes, d’alcool et de jazz, il ne pouvait s’agir que d’un rêve.
Te rappelles-tu, mon ami, de ces journées de farniente où nous nous primes à avoir pour activité principale le reluquage en règle des douces créatures féminines arpentant d’un air nonchalent les rues de ce village à la saveur aigre douce ?
Sans doute posées exprès là pour aiguiser nos appétits de mâles, elles nous mataient aussi, nous, jeunes hommes vêtus de nos plus beaux atours, resplendissant parmi la foule bigarrée et commune d’amateurs de Marsialis ou d’Emile Parisien. Nous prenions alors des airs coquets rivalisant sans mal avec les meilleurs partis. Et notre popularité n’en était que plus ostentatoire lorsque toutes les deux minutes un musicien venait nous saluer, nous parler, puis nous offrir l’ultime verre que nous ne pouvions refuser malgré notre état avancé d’ébriété. Tous les regards nous vrillaient alors, malade de jalousie, et ce n’est qu’avec une volonté d’airain que nous parvenions à cacher ce sentiment d’indéflectible contentement de soi que nous mourrions pourtant d’envie d’asséner à la face du peuple.
Tout cela nous aidait à attirer vers nous les yeux purpurins des jeunes filles. Mais le contact visuel étant pris, nous fondions comme du foie gras au soleil, et baigayions des insanités propres à révéler au grand jour notre totale absence de poésie, que les verres sus cités avaient largement contribué à faire disparaitre… Nos blagues tournées au coin du bon sens n’avaient pas l’effet escompés, puisque nous oublions à chaque fois que ces créatures dont nous sommes tant friand ne possèdent pas le même sens de l’à propos que nous. Ah, combien de rencontres déliceuses et de confidences sur l’oreiller avons nous ratés ainsi ? Je ne sais, mais moultes. Car après ces quelques déboires, nous replongions le nez dans nos verres, préférant l’alcool à toute compagnie féminines incapables de deviner les trésors que nous dissimulions sous nos carapaces blindées de jeunes éphèbes timides, maladroits et saouls.
Qu’elles s’en aillent, les sottes ! Tant de superficialité affichée dans ces robes aux froufrous aguicheurs ne pouvait évidemment retenir notre attention, nous qui élevions le débat à coup de coprolalies bien senties, même si parfois l’horizon d’un simple sein qu’on devinait sous une étoffe un peu trop pâle réveillait des instincts que l’on qualifiait ensuite de bas et méprisables.
Le réveil de ce qui semblait être un doux coma n’en est que plus rude aujourd’hui alors que le festival est bel et bien fini et que ne subsiste à Marciac pour rappeller ces 15 jours grandioses que les quelques déchets que laissèrent là les touristes et autres amateurs.
Je repense alors aux visions enchanteresses de ces magnifiques toiles rouge et bleue qui couvraient la scène, au coeur du village, et celles-ci m’emportent en même temps qu’elles tanguent vers les limbes des souvenirs. En laissant vagabonder mes pensées et en retirant ma main du ventre d’Enzo qui ne cherche à exprimer sa joie qu’en me mordant, je pousse un soupir confus.
Alors que tout paraissait tellement facile, beau et gentil à Marciac, je constate que revenu à Auch, il n’en est foutrement rien. Des purs canons rencontrés là bas à tous les coins de rues, il ne reste ici que de vieilles mégères steatopyges ou de jeunes femmes voués aux ordres entourées de leur duègne acariatre. Du haut de mon balcon je contemple, tel soeur Anne, mais je ne vois rien venir. Suis-je trop exigeant quand j’imagine quelqu’un du sexe féminin, d’une beauté fatale, venant sonner à ma porte, et qui me demanderait, avec une voix suave à faire fondre l’antarticque, si éventuellement elle peut rester dormir chez moi même si, et elle s’en excuserait bien volontier évidemment, elle a oublié toutes ses affaires dans son propre appartement, y compris son pyjama, et qu’elle espère qu’elle ne me dérangera pas, étant bien entendu qu’elle serait prête à beaucoup de chose pour me récompenser ? Honnêtement, si on ne peut espérer que de tels contes de fée survinssent encore en notre époque où la consommation est reine et l’argent prince, et alors que le soleil rougeoie, je me dis qu’il va encore falloir attendre quelques années pour que la dépression qui me guette ne s’estompe.
Aussi ne me reste-t-il qu’un recours pour tenter d’agrémenter ces journées désormais météorologiquement resplendissantes tant le soleil semble être là pour mettre un dernier éclat de vie dans mon cerveau malade et anéanti: écouter le dernier album de Satriani, qui est une perle, comme d’habditue. Je ne sais décidément pas où s’arrêtera ce génie, dont seul la musique me met du baume au coeur. Ecouter “Oriental melody” ou “New Last Jam” a un je ne sais quoi de revigorant. Le titre de l’album en lui même n’est que félicité et promets déjà bien du plaisir: “Strange Beautiful Music”.
Et, va savoir pourquoi, à l’heure présente c’est le morceau “Mind Storm” qui distille ses notes savament orchestrées par l’orfèvre Joe.
C’est exactement ce qu’il me faut pour reprendre en main quelques projets que j’ai momentanément balancé dans les lymbes de l’oubli.
Aussi, bien que “l’oubli” et le placement de deux mots ésotériques furent la motivation principale de ce texte, ne vais-je pas le prolonger indéfiniment, et vais-je me jeter corps et âmes dans ce que j’aurais du faire il y a déjà bien des années: passer la serpillère dans mon appartement afin de laver définitivement sous les litres d’eau de javel parfumé les quelques vestiges de terre ramenés de Marciac sous des chaussures qui plongèrent, un soir où je n’avais plus toute ma tête, dans un fossé rempli d’eau…
FMP thE mAd