J’ai souvent l’impression de m’enflammer pour pas grand chose parfois. Je vais encenser un auteur pendant 4 mois puis passer à autre chose ; m’enflammer pour un autre puis laisser ses bouquins prendre la poussière sur les étagères de ma bibliothèque, croulant sous ses deux milles et des brouettes livres de poches…
Ma particularité, c’est que quand je m’enflamme pour un auteur, je ne le lâche plus jusqu’à avoir épuisé sa collection : je veux tout lire, pour justifier mon enflammement, surtout, et aussi peut-être pour trouver enfin la faille qui me permettra de passer à autre chose.
Forcément, pour Asimov ou Stephen King, lire leur intégral, ça prend du temps…
Pour Vernor Vinge, pas trop : 3 bouquins à son actif.
Ah, oui, c’est pas beaucoup.
Mais 3 livres, dont 66% de prix Hugo.
Ah, oui, ça calme. Il est fort l’animal. Très fort.
C’est un pote qui m’a passé « Un feu sur l’abime ».
J’avais 18 ans, j’écoutais du hard rock, j’étais au lycée, j’avais les cheveux pas très longs parce que je détestais ça, et ça faisait un bail déjà que je lisais de la SF. Classiquement, j’ai commencé par Barjavel, puis Asimov, qui m’a tenu super longtemps. D’ailleurs, j’étais encore dans ma période d’Asimov quand mon ami m’a filé cette pépite.
J’étais un peu inquiet : « nan mais t’es sur qu’c’est aussi bon qu’Asimov ? Ca raconte quoi ? ».
Oui, faut vous dire que quand je m’enflamme pour un auteur, icelui fait figure de référence. Aussitôt, une échelle de valeur de 0 à 10 se met en place dans ma caboche de lecteur, 10 étant réservé à l’auteur en question. Simple, rapide, efficace. J’attendais de mon pote une note style « baof 7 sur l’échelle d’Asimov, mais tu verras c’est bien ».
7. Quel innocent j’étais. 7, pour ce bouquin, alors qu’en fait il n’y pas de pas nombres réels assez grand qui pourrait exprimer ce qu’il vaut…
Mais n’anticipons pas.
Mon pote a fait un petit sourire en coin quand il a entendu la question. Au lycée, c’était lui le spécialiste es SF (et es mobilette aussi, mais je le raconterai un autre jour, ça). Fallait lui faire confiance, après tout, et ma note sur mon échelle de valeur, je pouvais me la carrer où je pensais.
Il a pas su tout à fait me dire de quoi ça parlait, d’ailleurs. Ce qui n’était guère rassurant. Mais j’ai compris plus tard que c’était normal : même après avoir fini un livre de Vernor Vinge, on n’est jamais trop sur de savoir de quoi il parlait.
Au final, c’est d’abord la couverture qui m’a séduit (celle de la version poche française, chez J’ai Lu), parce que le résumé, lui, était plutôt sybillin : « houla, mais je pige rien ! » fut sans doute ma première réaction quand je l’ai lu. Et « houlà mais je pige rien ! », fut aussi la deuxième, remarquez.
Alors, bon, ok, j’allais faire une infidélité à Asimov, le temps de finir ce truc. Vu la taille du bouquin, Asimov pouvait avoir le temps de divorcer avec moi et de me faire payer moultes frais d’avocat : l’infidélité allait durer un moment.
Mais bon, j’étais prêt à risquer le coup. Et puis, bon, à l’époque Asimov n’avait plus que quelques mois à vivre, au pire je ferai trainer le procès…
Deux semaines plus tard, un constat s’imposait : je n’avais rien capté au livre. Ou presque rien.
Mais j’étais sûr d’une chose : j’avais jamais lu jusqu’à présent un truc plus ahurissant que ça. De la race extraterrestre qu’il décrit, des concepts qui en découle, des énigmes qu’il n’explique pas, le tout formant un ensemble cohérent dont on ne se détache plus, c’était ça, pour moi, la définition de chef d’oeuvre.
Quand j’ai redonné le bouquin à mon ami, on en a parlé des heures devant un jus de fruit ou du coca (à l’époque, je ne buvais que le samedi soir, j’étais un ado sérieux).
Je voulais l’acheter, du coup, mais je ne l’ai pas trouvé en librairie. Ma ville n’était pas grande, je n’avais pas les moyens de locomotion nécessaires pour aller dans une grande libraire dans une ville plus importante, et Internet n’existait pas à part dans des universités.
Tant pis, je n’ai pas pu me replonger dedans immédiatement, essayer de comprendre ce que je n’avais pas compris.
L’histoire s’arrête là, pour le moment. J’ai dû m’enflammer pour autre chose ensuite, je ne me souviens plus qui (sans doute Arthur C. Clark, qui a du suivre Asimov : j’ai dû faire le parcours classique de l’ado fan de SF, à part cet épisode là).
Enflammement normal, donc, mais jamais autant qu’avec Vinge.
Du coup, il restait toujours dans un petit coin de ma tête. « Les puissances, quand même, j’aimerais bien savoir ce que c’est », que je me disais. Ca venait comme ça, quand je faisais la vaisselle, quand je jouais aux jeux vidéos, quand je bullais en cours d’Allemand…
Des années plus tard, nous sommes en 2003, et j’y repense.
Je suis à Toulouse, et je me dis, brutalement, « ah mais il me faut ce livre c’est vrai ! ».
Du coup, ce samedi après midi, à la libraire « Ombre Blanche », je bafouille devant une vendeuse très sympa : « je cherche un bouquin de SF. Vieux. C’est écrit par un type qui a un nom qui sonne Norvégien. Je ne me rappelle plus du titre, mais je sais qu’il a eut le prix Hugo. La couverture est dans les tons jaunes, avec du feu… ».
Avec ces renseignements, la vendeuse m’a limite pris pour un dingue, mais elle m’a conseillé un magasin en me disant « si eux ils trouvent pas, personne trouvera ».
J’y cours. Et on se met à 3 pour retrouver le titre avec mes maigres souvenirs d’il y a 11 ans (ah putain, merde, je suis vieux). Et, au bout de 30 minutes de lutte, on trouve : mais oui, « Un feu sur l’abime », Vernor Vinge : ouaip, ça sonne Norvégien quand même, nan ? (je me suis dit après que, si j’avais pensé à « norvégien », c’est que j’étais pas loin de retrouver le nom : « Vinge », « Norvégien »… Marrant comment la mémoire fait des associations d’idées).
Dans la foulée, je trouve un autre bouquin de Vinge, son deuxième (en fait troisième, mais je ne le savais pas encore). Ah ouais, presque 10 ans entre les deux. Il se foule pas, le gars.
C’était « Aux tréfonds du ciel ». Un chef d’oeuvre. Encore une race extraterrestre géniale, encore des concepts étonnants qu’on a du mal à appréhender au début. Vinge n’explique pas, comme Asimov le faisait, où, dans un autre registre, comme Tolkien le faisait en décrivant la moindre brindille d’herbe pendant 6 pages. Chez Vinge, y a tel concept, et c’est à nous de comprendre ce qu’il veut dire. Evidemment, il laisse des indices au fil des pages pour qu’on s’en fasse une idée. Mais au final, je ne serais pas étonné que deux personnes ayant lu le livre aient des images mentales de l’histoire complètement différentes, tellement c’est vague, flou, et tellement Vinge laisse la place à l’imaginaire.
Evidemment ça confirme tout le bien que je pensais de l’auteur : l’histoire est en fait antérieure à celle d’« Un feu sur l’abime », mais c’est avec joie que je retrouve certains personnages. Du coup, je me refais « Un feu sur l’abime », dans la foulée. Toujours aussi bon, aussi jouissif.
Dernière baffe, récente, 2006 : « La captive du temps perdu » que je trouve enfin en Poche dans ma librairie préférée. Dans celui-ci Vinge raconte le chatiment le plus horrible que puisse vivre un être humain : être prisonnier du temps. Et l’enquête qui va avec.
Trois bouquins, trois claques aller retours qui m’ont scotchées comme jamais un autre auteur n’a pu le faire. Même le maitre Asimov avec « les Dieux eux mêmes » (pour moi son meilleur bouquin) est à 8000 années lumières de ce que peut sortir Vinge.
J’ai hâte de lire son prochain livre, c’est à dire, à son rythme de parution actuel, dans 10 ans…
Bon, aller, ok, je lâche le morceau : V. Vinge est mathématicien, je ne suis pas objectif.
Mais sérieusement, est-ce que quelqu’un connait cet auteur et partage mon sentiment, même un petit peu ?
Ca me ferait plaisir, je me sentirais moins seul…
EDIT : titre d’Asimov et correction de dates