Développer plus pour gagner plus

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L’industrie du jeu vidéo se l’était fait promettre depuis un petit moment, puis avait presque perdu espoir, l’avait retrouvé, et finalement, les développeurs français peuvent se réjouir depuis le 31 mai 2008, date de la publication au Journal Officiel de l’Arrêté du 29 mai 2008 pris « pour l’application des articles 5 et 6 du décret n° 2008-508 du 29 mai 2008 pris pour l’application des articles 220 terdecies et 220 X du code général des impôts et relatif à l’agrément des jeux vidéo ouvrant droit au crédit d’impôt pour dépenses de création de jeux vidéo ». Ouf !

Armés de leur beau sourire, les développeurs vont donc s’emparer d’un stylo et d’un téléphone pour se hâter de remplir les documents nécessaires à l’obtention de l’agrément provisoire auprès du Centre National de la Cinématographie.

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Le CNC, votre nouveau meilleur ami[/center]
C’est bien beau de remplir de nouveaux dossiers, mais ils servent à quoi ceux-ci, me direz-vous ?

Le système de crédit d’impôt permet aux entreprises de création de jeux vidéo de se faire rembourser 20% des dépenses liées à la création d’un jeu (achat de PC, de logiciels, salaires des auteurs, designers, sous-traitance…) sous la forme d’un crédit d’impôt sur les sociétés (ou d’un chèque du Trésor Public si le montant remboursé excède cet impôt, ce qui est quand même la grande classe si on est un petit indépendant et qu’on a un banquier un tant soit peu impressionnable). Le système mis en place est très similaire à celui déjà en activité dans le domaine cinématographique, qui a plutôt bien réussi. Le crédit d’impôt est plafonné pour chaque entreprise à 3 millions d’euros par exercice.

La procédure est la suivante : une entreprise qui est sur le point de développer un jeu va demander au CNC un agrément pour bénéficier du crédit d’impôt, qui va lui être accordé ou non selon le respect de certains critères, examinés par un comité d’experts. A la fin de la production du jeu, si les critères ont été respectés au cours de la production et après audit des comptes, le crédit d’impôt est accordé et payé à la société.

Pour être éligible, donc, l’entreprise et son produit doivent satisfaire des critères « précis », principalement des conditions de nationalité, d’affectation des dépenses et de contenu que voici :
[indent] * avoir un coût de développement supérieur ou égal à 150 000 € (développeurs DS, vous avez un nouveau seuil de budget)
* être destiné à une commercialisation effective auprès du public (pas de démo technique NVIDIA…)
* ne pas comporter de séquences à caractère pornographique ou de très grande violence, susceptibles de nuire gravement à l’épanouissement physique, mental ou moral des utilisateurs (ManHunt3 et Virtual Valérie 3, out)
* être réalisé principalement (c’est à dire réunir 11 points minimum dans le barême suivant) avec le concours d’auteurs et de collaborateurs de création qui sont soit de nationalité française, soit ressortissants d’un autre Etat membre de la Communauté européenne, ou d’un autre Etat partie à l’accord sur l’Espace économique européen ayant conclu avec la France une convention fiscale. Les étrangers, autres que les ressortissants européens précités, ayant la qualité de résidents français sont assimilés aux citoyens français ;
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[li]directeur créatif ou réalisateur 3[/li][li]responsable de la conception des mécanismes du jeu vidéo 3[/li][li]scénariste 2[/li][li]directeur artistique 2[/li][li]compositeur de la musique ou créateur de l’environnement sonore 1[/li][li]membres de l’équipe de création 9 (points obtenus lorsque les 2/3 des dépenses salariales sont réalisées en France ou dans l’Union Européenne).[/li][indent]• les artistes conceptuels et environnementaux
• les infographistes
• les concepteurs de niveau
• les personnels en charge du son
• les concepteurs des mécaniques du jeu vidéo
• les programmeurs[/indent]
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Jusque là, tout va bien, c’est à peu près compréhensible et similaire au cinéma. Ce qui va être un peu plus difficile à accomplir sans avoir l’impression de vendre son âme au diable pour certains, c’est la dernière condition :
[indent]* contribuer au développement de la création française et européenne en matière de jeux vidéo ainsi qu’à sa diversité en se distinguant notamment par la qualité, l’originalité ou le caractère innovant du concept et le niveau des dépenses artistiques (ce qui signifie réunir 14 points minimum dans le barème suivant) ;
[ol]
[li]Jeu vidéo inspiré d’une œuvre reconnue du patrimoine historique, artistique et scientifique européen 4[/li]OU
adapté d’une œuvre cinématographique, d’une œuvre audiovisuelle, d’une œuvre littéraire ou artistique ou d’une bande dessinée 2
[li]Originalité de la création 2[/li][li]Narration 3[/li][li]Dépenses artistiques supérieures à 50% du coût de développement 2[/li][li]Bible du jeu vidéo écrite en français 1[/li][li]Versions originales dans au moins trois langues en Europe, dont le français 1[/li][li]Problématiques politiques, sociales ou culturelles européennes ou valeurs spécifiques aux sociétés européennes 1[/li][li]80 % des dépenses de développement réalisées sur le territoire de la Communauté européenne 1[/li][li]Auteurs et collaborateurs de création européens ** 3 à 4[/li][li]Innovations technologiques et éditoriales (user-created content, IA…) *** 1 à 3[/li]** 3 points si 12 à 15 points sur le barème « collaborateurs de création », 4 points si 16 points ou plus.
*** 1 point si une innovation, 2 points si deux innovations, 3 points si trois innovations ou plus.
[/ol][/indent]La crainte principale est que ces conditions ne génèrent des effets pervers (« Tu peux m’écrire un truc avec des Templiers pour le jeu de F1, s’il te plaît, c’est pour le crédit d’impôt ? Et trouve-moi un Achille Talon où il y a des courses de bagnoles ? »).

Les conditions seront examinées au préalable par un collège d’experts, chargé de trancher l’adéquation des déclarations de l’entreprise avec les critères sus-cités, pour éviter de donner le feu vert à un agrément provisoire « limite » et de refuser le définitif deux ans plus tard. Le collège sera composé du directeur du multimédia et des industries techniques au CNC, du directeur financier et juridique du CNC, du chef de la mission de contrôle général économique et financier auprès du CNC et du chef du service des technologies et de la société de l’information du ministère chargé de l’industrie ou son représentant. Il appartiendra donc entre autres à ces personnes de définir si un démembrement est trop violent dans un jeu de combat ou si un jeu anti-avortement véhicule vraiment une valeur européenne, ce qui a pour effet d’inquiéter un peu les détracteurs de ce système sélectif, dans la mesure où des professionnels de l’industrie semblent un peu absent de ce panel. Néanmoins, « pour compléter l’analyse des dossiers de demandes, le comité d’experts peut faire appel à des personnalités extérieures compétentes dans le domaine des jeux vidéo » qui n’assisteront toutefois pas au débat final.

Le CNC n’est pas connu pour être drastique dans ses appréciations pour le cinéma, guidant plutôt les producteurs pour que le film se conforme au mieux à l’esprit du texte. Il y a fort à penser (et espérer) qu’il en sera de même pour le jeu vidéo.

Quoi qu’il en soit, c’est un pas de plus dans la bonne direction (avec le FAEM, rebaptisé Fonds d’aide au jeu vidéo pour l’occasion) pour redonner à la France un peu de compétitivité sur le plan international, et l’accueil de la mesure est déjà très positif, comme l’indique le PDG de Quantic Dreams, Guillaume de Fondaumière : « L’impact pour notre société va être très important. Le crédit d’impôt va nous permettre de commencer de nouveaux projets sans avoir à attendre le lancement (et le succès) du jeu actuellement en production (Heavy Rain) comme ce fut le cas après Fahrenheit. Nous devrions ainsi doubler nos effectifs sur les douze prochains mois. »

Remerciez le crédit d’impôt, vous savez déjà où envoyer vos CV. :slight_smile:

Ah bah non les gars, on peut pas vous financer pour votre half life 2, il vous manque 2 points. Vous aviez qu’à prendre exemple sur ceux qui ont fait Enter the Matrix ou Les visiteurs" :crying:

Bon blague à part, ca a l’air intéressant comme dispositif.

Et merci pour la (méga-)news :slight_smile:

Ca va pas changer des masses sur les grosses boites (Ubi a un credit d’impot de 50% au Quebec…) mais faut esperer que les petits vont bien en profiter

Merci beaucoup pour cet article très précis et détaillé ! (Et merci le crédit d’impôt :))

Euh sinon… A quoi correspondent les chiffres en gras ? (des points qui s’accumulent ?)

Exactement, c’est le nombre de point pour chaque critère.

Sûr, ça va pas les faire revenir, mais c’est ça de pris pour ceux qui restent.

Mouais le jeux videos bienvenue chez les chtis va beneficier de ce crédit d’impots.

je sais pas la caution culturelle idiote a tout prix me laisse un arriere gout amer comme si je jeux videos etait vu de haut et méprisé.

Mais bon on va s’en contenter, ceci dit ca va générer pas mal de contentieu ou autre, et est ce que une boite pourra faire appel de l’avis de la comission chargé de compter les points ?
Mais bon avec un peu de chance cela se passera bien.

Bussiere

Comme disait le président de l’APOM : “[…] les critères culturels étaient une exigence de la commission européenne et qu’il valait mieux un crédit d’impôt conditionné que pas de crédit du tout.”

source : le blog le Jeu Video au pays des Bretzels

ouais, tout a fait d’accord, mieux que rien, mais bon, faudrait aussi que l’Europe voit qu’il s’agit d’une industrie globale (et qui peine de surcroit) et qu’avant de promouvoir la culture, faudrait veiller a aider les entreprises qui pourraient a un moment donne promouvoir cette culture vonlontairement ou non.

En gros : on est pas une industrie centralisee sur l’Europe et si on veut depanner notre industrie c’est pas avec des produits qui n’interresseront potentiellement qu’un marche niche.

Qui peine?

L’industrie du jeu est en progressing absoluement hallucinante (en Mars par exemple +63% year over year) et les gens ont jamais depense autant pour des jeux videos. Si il y a bien une industrie qui est pas a la peine ce sont les jeux videos.

Maintenant qu’on en chie en France, ou dans telle ou telle societe, c’est un autre debat… mais en global y a pas photo, ca cartonne.

Ha oui, moi aussi, ça me choquait un peu de voir que les jeux vidéo sont une industrie “qui peine” après avoir lu que chaque année établissait un nouveau record de CA pour tous les acteurs en général.

je pense que Joebount voulait dire " qui peine sur PC "…

car bon, apparemment c’est pas la joie sur ce segment de marché.
(si mes souvenirs sont bons, mais il me semble qu’on en avait parlé ici-même…)

Bah faut garder en tete qu’en France, on a eu droit (comme partout ailleurs, mais ça a été vécu comme un drame par ici) a la Crise du Jeu Video, avec la mort de Cryo, Kalisto, etc. Donc réus de crise, dossier dans Joystick (n° 142 nov 2002) et tutti quanti. Reste que l’industrie se porte bien mieux maintenant, les gros sont toujours aussi gros, et clairement, ce crédit d’impot ne leur est pas destiné. Faut plutot chercher du coté des petits et des moyens pour voir l’interet et les vrais destinataires (a mon avis) de ce geste.

Qui peine, oui, pour les PME au niveau de la facilité de financement en France PAR RAPPORT à ailleurs. On ne parle pas de progression, on parle de ratio entre pays.

C’est pareil pour le cinéma, et compréhensible : tu vas filer du pognon français en échange de l’emploi de personnel européen. Rien à voir avec le statut du média. Pour la polémique, voir Un long dimanche de fiançailles.

Appel ? Tu rêves… Mais ils sont généralement assez souples, et surtout les « agents » du CNC t’aident à optimiser ton dossier avant la commission, pour qu’il soit le mieux reçu possible.

Que tu crois. 20% de 10M, c’est plus que 20% de 150K, et ça permet aussi bien de financer la totale.

Va expliquer ca a lexes qui a rempli un dossier pour des aides europeenes :slight_smile: Il a bien galéré, ils etaient assez rigides sur le contenu, et l’aide a l’optimisation, ca consistait en un joli « Incomplet ou Inexact, retour a l’envoyeur ».

J’ai mal précisé : ceux qui sont souples et aidants, ce sont les gens qui sont en poste au CNC pour l’accueil des projets, pas la commission, qui est draconienne. Et tu parles ici d’aides européennes (MEDIA ?) - je n’ai que l’expérience du cinéma, mais dans ce milieu, les personnes chargées des réceptions de dossier sont très très pointilleuses et peu prolixes.

Pourquoi s’être restreint aux jeux vidéos et pourquoi n’avoir pas favorisé le développement software tout court ?

Parce que visiblement ca se fait dans une optique de financement des arts et de la culture, pas du tout dans la logique d’aider une industrie. Donc même si y’a plein de softs vachement sympas qui sont faits en France, il faut vraiment plisser les yeux pour leur trouver un aspect artistique.

( Après, tu peux toujours monter un dossier fumeux où tu expliques que les fenêtres windows c’est du cubisme, mais j’ai un doute sur l’issue :slight_smile: )

et surtout, merci a piaz pour nous avoir pondu cet bien belle news, des mecs comme ça, ça fait plaisir sur la zone :slight_smile:

[quote=« AAARGH, post:17, topic: 47792 »]Parce que visiblement ca se fait dans une optique de financement des arts et de la culture, pas du tout dans la logique d’aider une industrie. Donc même si y’a plein de softs vachement sympas qui sont faits en France, il faut vraiment plisser les yeux pour leur trouver un aspect artistique.

( Après, tu peux toujours monter un dossier fumeux où tu expliques que les fenêtres windows c’est du cubisme, mais j’ai un doute sur l’issue :slight_smile: )[/quote]

C’est mon regret. Ça aurait été plus bénéfique pour le pays de favoriser l’industrie dans son ensemble plutôt que les jeux vidéos uniquement. En plus le crédit d’impôt ne me paraît pas le bon truchement. Un des problèmes c’est que l’argent tu en as besoin tout de suite, pas au bout d’un an quand tu fais ta déclaration.

Il existe déjà l’exemption d’un an pour les entreprises innovantes, me diras-tu mais la première année tu ne te fais pas fracasser et une conception de produit important c’est plus d’un an.

En fait la grosse difficulté en France pour se lancer dans le soft (jeux vidéos ou pas) c’est de trouver les fonds pour démarrer car il y a toute une période où ta boîte ne gagne pas d’argent et tu en dépenses beaucoup pour développer.

Le crédit d’impôt pourra être escompté et cash-flowé par une banque, comme les contrats d’édition, de distribution (enfin, s’il y a des minima garantis, mais je ne connais pas assez le JV pour savoir si c’est très courant. Quelqu’un peut-il m’éclairer ?). Pas de souci de ce côté là. C’est aussi pour ça que net, il rapportera plutôt 17% en raison des frais bancaires.

D’où la recherche d’investisseurs privés (chopez les mecs qui sont soumis à l’ISF, ils peuvent maintenant défiscaliser en investissant dans votre boîte) et les aides publiques (FAJV, régions…). C’est dur, mais c’est jouable. A l’entreprise après de bien gérer les 2-3 premiers mois de développement avec ce peu de trésorerie pour faire un prototype suffisamment convaincant afin de démarcher les éditeurs.