Comme j’ai failli me faire dépecer vivant par Faskil, et que finalement un nouveau thread sur le sujet c’est pas forcément une mauvaise idée, allons-y. (et j’avoue, j’ai honteusement repompé le titre à Glasofruix.)
Bizarrerie 1
Pour rappel, c’est parti de ça :
Le nombre d’idées et de concepts mathématiques derrière cette vidéo est proprement hallucinant, je viens de perdre l’après-midi sur wikipédia à me (re)lire la vie d’Euler, les séries divergentes, l’histoire de la fonction zêta de Riemann, les fonctions holomorphes, la théorie des nombres, etc.
Donc, pour rappel, le monsieur essaie de trouver le résultat des sommes suivantes :
S1 = 1 - 1 + 1 - 1 … (série de Grandi)
S2 = 1 - 2 + 3 - 4 + 5 … (série alternée des entiers)
S = 1 + 2 + 3 + 4 + 5 … (valeur en -1 du prolongement analytique sur C - {1} de la fonction zêta de Riemann, oui c’est barbare, mais c’est comme ça)
En bref, son raisonnement c’est ça :
S1 = 1 - S1 => 2S1 = 1 => S1 = 1/2
2 S2 = S1 => S2 = 1/4
S - S2 = 4 S => S = - S2 / 3 = -1/12
Soyons clairs : ces égalités sont fausses en arithmétique élémentaire, rien que suggérer que S1 , S2 ou S existe en tant que valeur finie est une aberration, et sa démarche ne constitue en AUCUN cas une preuve, encore moins rigoureuse.
Et pourtant, mathématiquement, ça a un sens, mais qui n’est pas si évident à comprendre.
Ces objets curieux tels que S1, S2 ou S sont des séries divergentes. On cherche à leur attribuer une somme car on les rencontre dans plusieurs domaines de mathématiques et de physique théorique. Pour cela, on redéfinit le mot somme, la somme mathématique d’une série n’est plus la somme terme à terme des membres de la suite qui la compose, mais un nouvel objet mathématique, et les écritures précédentes sont en fait des « abus de langage mathématique ».
Par exemple, pour une série de termes intermédiaires S1, S2, … Sn, la somme de Césaro est la limite (si elle existe) de (S1 + … + Sn)/n.
Si Sn est une série qui converge vers une limite, la somme de Césaro convergera vers la même limite, mais si Sn ne converge pas, il est possible que la somme de Césaro converge. Exemple avec la série S = 1 - 1 + 1 - 1…, on a S1 = 1, S2 = 0, S3 = 1, etc, donc la somme de Césaro est ([n/2]+1) / n, qui converge vers 1/2 quand n tant vers l’infini.
Cette méthode ne marche pas pour les suites S et S2 vues plus haut, c’est pour cela qu’on a défini d’autres méthodes de sommation plus efficaces mais mathématiquement plus complexes.
En particulier, l’une d’elles revient à définir une fonction à partir de la suite des valeurs qu’on cherche à sommer, d’ensuite prolonger cette fonction sur des valeurs où elle n’est pas forcément définie au départ, voir que ce prolongement est cohérent et a des valeurs finies alors que la fonction de départ n’en a pas, et lier ces valeurs finies avec la série qu’on cherchait à étudier au départ.
Dans le cas de S, la fonction associée est la fonction zêta de Riemann, qui est au centre d’un nombre gigantesque de domaines mathématiques, en particulier la théorie des nombres de par ses liens avec la répartition des nombres premiers. On la retrouve également en physique théorique, d’où l’importance de trouver un sens à certaines de ces valeurs clefs qui paraissent à première vue absurdes. A noter aussi que cette fonction est au coeur d’un des problèmes du Millénaire, sous le nom d’hypothèse de Riemann : les zéros non triviaux de la fonction zêta ont tous pour partie réelle 1/2. Elle date de 1859 et à priori elle va tenir encore longtemps, donc si vous voulez 1 million de dollars, ça peut valoir le coup de se pencher dessus !
Bizarrerie 2
Là encore, on peut utiliser des manipulations mathématiques de base pour intuiter le résultat :
S = 0.99999…
S x 10 = 9.9999 = 9 + S
Donc 9 S = 9, donc S = 1
Fondamentalement, cela provient du fait que la représentation d’un nombre d’écriture finie dans le système décimal n’est pas unique : il y a le développement propre, fini, et le développement impropre, qui se termine par 99999…Voir l’article wikipedia très bien fait pour plus de précisions.
on remarque d’ailleurs que ce développement infini fait intervenir une somme de série convergente, et c’est là où on se dit que décidément, l’infini en mathématiques est une des choses les plus contraires à l’intuition