[quote=“Chris, post:1, topic: 32438”]Au temps pour moi
Voilà un petit nouveau, qui fait surtout parler de lui depuis quelques années… Au temps pour moi – écrit souvent autant pour moi – fait selon toute vraisemblance référence à l’univers militaire (les « temps » correspondant aux différents moments où une arme était manipulée pour effectuer une action précise). Je m’appuie sur langue-fr.net ici, pour préciser que « l’expression est utilisée par celui qui, investi de l’autorité (quelle qu’en soit la nature), vient de faire commettre une fausse manoeuvre collective et, par extension, par celui qui s’est trompé et s’en rend compte avant les autres ». Reste que la graphie « autant pour moi » n’est pas forcément fausse, mais qu’elle est liée à une quantité ou à une chose, et ne doit pas exprimer une erreur. Un sujet parfois âprement discuté qui étonne : ce débat n’a dans le fond aucune importance ! C’est certainement ce qui fait son charme…[/quote]
A ce propos:
[quote]Voici l’avis de Claude Duneton, un expert s’il en est des expressions françaises, paru dans sa rubrique “le plaisir des mots” du Figaro littéraire.
Je lis dans un petit ouvrage (*) - utile et fort bien fait, mais non sans faille de Jean-Pierre Colignon, préfacé par Bernard Pivot, l'injonction suivante: « Il faut écrire au temps pour moi! » (et non « autant pour moi ») parce que cette expression fait référence au commandement militaire, ou bien à l'ordre donné par un professeur de gymnastique, par un chef d'orchestre, par un maître de ballet, et incitant à revenir - parce qu'il y a erreur- au premier mouvement d'une suite de positions, de mouvements. » Logique, is not it ? Très satisfaisant pour l'esprit !... L'ennui c'est qu'il s'agit d'une information complètement fantaisiste, une pure construction de l'esprit, justement.
Trente ans passés à décortiquer les expressions françaises m'ont appris à me méfier des « explications » brillantes d'allure, des assauts de logique qui ne sont fondés sur aucun texte, aucune pratique réelle de la langue. On ne trouve nulle part cette histoire imaginaire de commandement « Au temps! », ni à l'armée (qui a pourtant donné « En deux temps trois mouvements ») ni dans les salles de gym.
Surtout pas chez les chefs d'orchestre : des musiciens qui travaillent reprennent à telle mesure, pas au « temps », c'est saugrenu! Colignon a rêvé cela, ou l'a cru avec beaucoup de logique apparente, en effet, donc de vraisemblance. Il ajoute du reste avec cohérence, dans une déduction impeccable: « Au sens figuré, très usuel, on reconnaît par là qu'on a fait un mauvais raisonnement », etc. Belle édification, qui repose sur un mirage.
Autant pour moi est une locution de modestie, avec un brin d'autodérision. Elle est elliptique et signifie: « Je ne suis pas meilleur qu'un autre, j’ai autant d’erreurs que vous à mon service: autant pour moi. » La locution est ancienne, elle se rattache par un détour de pensée à la formule que rapporte Littré dans son supplément: « Dans plusieurs provinces on dit encore d'une personne parfaitement remise d'une maladie: il ne lui en faut plus qu'autant (...) elle n'a plus qu'à recommencer. »
Par ailleurs, on dit en anglais, dans un sens presque analogue, so much for... « Elle s'est tordu la cheville en dansant le rock. So much for dancing! (Parlez-moi de la danse !) So much, c'est-à-dire autant. C'est la même idée d'excuse dans la formulation d'usage: « Je vous ai dit le « huit » ? Vous parlez d'un imbécile! Autant pour moi : c'est le dix qu'ils sont venus, pas le huit. » Le « temps » ici n'a rien à voir à l'affaire. Du reste on dit très rarement « autant pour toi », ou « autant pour lui », qui serait l'emploi le plus « logique » s'il y avait derrière quelque histoire de gesticulation. Par les temps qui courent, j'ai gardé pour la fin ma botte secrète, de quoi clore le bec aux supposés gymnastes et adjudants de fantaisie dont jamais nous n'avons eu nouvelles.
Dans les Curiositez françoises d'Antoine Oudin publié en l'an de grâce 1640, un dictionnaire qui regroupe des locutions populaires en usage dès le XVIe - soit bien avant les chorégraphes ou les exercices militaires- on trouve: Autant pour le brodeur, « raillerie pour ne pas approuver ce que l'on dit ». Aucune formule ne saurait mieux seoir à ma conclusion :
M. Colignon, qui fait la pluie et le soleil auprès des correcteurs professionnels, devrait bien publier un correctif ad hoc sur le mauvais temps qu'il nous fait par le biais de ce canular orthographique. Perseverare serait en l'occurrence proprement démoniaque!
(*) L'orthographe, c'est logique de Jean-Pierre Colignon, Col. Les dicos d'or de Bernard Pivot[/quote]
Âpre débat en effet! Très intéressant ce topic, voilà quelques précisions qui m’éviteront peut-être certaines fautes à l’avenir.