Je rejoins Jeep d’une certaine manière. J’ai la fâcheuse habitude d’avoir un regard assez froid et critique sur ce que je vois au ciné, d’analyser et de juger. Enfin “fâcheuse”, pas vraiment, mais souvent ça me laisse d’une certaine manière en dehors du film et m’empêche d’être “à fond dedans”.
Et bien là, sur Avatar, ce fut totalement le contraire. Si je devais analyser point par point le film, chaque élément (scénar, personnages, monde “déjà vu”, technique parfois un peu foireuse et pas tellement révolutionnaire finalement, etc), je serais obligé de dresser une conclusion assez négative.
Mais non.
Parce que je ne sais pas pourquoi, mais ce film m’a emporté, littéralement transporté dans une autre dimension, un autre univers graphique et vivant, où je vivais réellement chaque moment intensément. L’expérience fut totale pour moi - pour une fois, quand les méchants tapent sur les gentils, je me sentais mal, frappé moi-même, plûtot que de trouver ça cool qu’il y ait un peu d’action, alors que sérieux, blue men living in trees ? Je ne sais pas comment Cameron s’y est pris. La scène où l’arbre est abattu, je souffrais pour les petits bleus qui gueulaient de douleur. Alors que je me serais attendu à trouver ça risible. Différemment mais dans le même registre : l’émerveillement que j’ai pu ressentir quand on découvre les montagnes volantes me picote encore les joues…
J’y allais comme je serais allé au Futuroscope, et ce fut exactement le contraire.
Cameron a l’intelligence de ne pas faire un film-démo sur tout ce qu’il pourrait faire avec la 3D (on a pas de flèches au ralenti arrivant dans notre tronche) mais bien d’utiliser la technologie comme porte ouverte vers son monde, où il n’y a plus un écran mais bien de la vie qui se dévoile sous nos yeux. La seule barrière qui m’a ramené parfois au monde concret sont ces lunettes assez fatigantes et lourdes, mais en dehors de cela (et j’ai confiance que dans les dix voire cinq années à venir la technologie aura encore bondit en avant), je trouve le pari 3D complètement réussi et exécuté avec brio.
Tout aurait pu être foiré, mais la sauce a pris formidablement. C’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleurs soupes. Les clichés sont peut-être même parfois rassurants et je suis contre cette mouvance actuelle du tout-complexe, du tout-réalisme, je trouve que ça plombe souvent l’action et le rythme au profit de pseudos approfondissement qui sont finalement assez vides. Pas tous hein, bien sûr, les Batman étaient vraiment pas mal, mais la systématisation de cette tendance me broute. Ici, on retrouve la force d’un manichéisme assumé, l’orgasme guerrier, la joie de la victoire des bons contre les méchants, le bonheur du rite initiatique où les réussites du héros deviennent les nôtres, un message plus ou moins clair et dans l’air du temps. Pour moi c’est Star Wars all over again, et c’est tout de même une putain de référence.
Seul reproche, j’ai vraiment pas accroché à la zik. Le trip tam tam de l’espace m’a fait chier, même si parfois (sur la fin) ça passait encore, mais généralement elle m’a un peu emmerdé. Pour reprendre les termes d’un magazine pas très apprécié dans le coin : “une soupe techno-world assez kitsch, chorale de chants africains nappée de flûtiau façon Titanic et ballade finale beuglée par Leona Lewis, remplaçant au pied levé Céline Dion”.
Ah et je suis habituellement contre l’argument “il ne faut pas réfléchir”, parce que si la non-réflexion est volontaire, ça en devient ridicule et débilisant, mais là, c’est magistralement exécuté, toute la salle avait dix ans à nouveau, devant ce spectacle d’un nouvel ordre, pour lequel, effectivement, il ne nous est pas demandé de réfléchir : mais putain on en a vraiment pas envie, de réfléchir. Le film est assez bien fait pour qu’il ne faille pas “laisser le cerveau à l’entrée” mais plutôt qu’on ne ressente jamais le besoin de l’utiliser, si ce n’est pour se dire “YEAAH BLUE POWER”. Pas dans un processus d’abrutissement du spectateur mais bien de ravissement total.
C’est un pur spectacle (à l’opposé d’une représentation, qui interroge, le spectacle “ravit” dans tous les sens du terme), un des spectacles les plus réussis qu’il m’ait été donné de voir.
Mention spéciale aux sous-titres, habilement placés soit à droite, soit à gauche et toujours en respectant les différences de relief. Ils “existent” dans le monde 3D (on a même parfois l’impression qu’ils passent au dessus ou sont “cachés” par des objets du film). J’ai eu les boules pendant les pubs 3D, où je devais obligatoirement baisser/relever la tête pour les voir, mais ça a été très bien exécuté dans le film. Le changement de police pour la langue des Na’vi est amusant aussi. Nice job there.
Je me demande comment il est en 2D. Je me demande comment utiliser cette technologie pour des films autres que des “gros films” (action, monde sf, etc.), et je me réjouis d’en voir d’autres.
Merci Cameron, l’homme qui parvient la fusion fragile entre films très grand public et public cinéphile…