Vu hier soir le très attendu Civil War d’Alex Garland (Ex Machina, Annihilation mais aussi scénariste sur Sunshine, 28 jours Plus Tard notamment).
Le moins qu’on puisse dire c’est que le film était attendu, notamment aux US en cette année électorale. D’aucuns y voit une prise de position dans le débat démocratique au travers d’une anticipation choc, par un réalisateur Britannique qui plus est.
On ne va pas y aller par Quatre Chemins : ce film est une oeuvre majeure … mais pas pour la raison que certains avaient anticipée.
Non ce film ne prend pas partie. La guerre civile est ici surtout une toile de fond pour raconter le rôle des reporters de guerre, la distance qu’ils doivent à voir par rapport aux horreurs qu’ils vivent, leur rapport à l’adrénaline que procurent ces situations d’urgence vitale où ils ne se sentent vivre qu’en frôlant la mort. Le film est souvent dur, cru, le rapport à la mort banalisé dans ces moments où la guerre déclenche la folie d’hommes qui tuent pour tuer, qui tirent sur quelqu’un sans même savoir pourquoi.
Néanmoins, bien que le film ne prenne pas partie et qu’il soit surtout concentré sur cet aspect « reporters de guerre », Garland ne se prive pas de quelques saillies sur l’Amérique contemporaine, distillées tout au long du parcours des reporters. Déjà le fait de situer le récit aux Etats-Unis et pas ailleurs (après tout, il aurait tout à fait pu situer le récit dans un pays en guerre quelconque ou « habituel » pour soutenir son propos) n’est pas innocent. En amenant des reporters Américains à faire ce travail de distanciation inhérent à leur métier dans leur propre pays, il dit « regarder vous les Américains qui venez avec votre vision du monde partout, regarder VOUS vous-mêmes vous dévorer ». Il dit : ne soyez pas juste les contempteurs du monde, faites votre travail d’introspection. Et ça marche super bien : la sauvagerie Américaine est la même que partout ailleurs … mais avec en bonus beaucoup plus de flingues en circulation.
Et quelques scènes mettent en avant les cassures de l’Amérique Contemporaine : comment se balader sans armes dans une zone ou tout le monde porte des armes de guerre ? Pourquoi certains s’enferment dans la futilité alors que le monde brûle (la scène du magasin) ? … ou encore la banalisation de la violence envers les personnes en fonction de leurs origines (scène ultra glaçante avec l’excellent Jesse Plemons, pour une apparition aussi magistrale que brève). Bref … sans le dire et avec cette guerre civile, Garland dit tout, et bien au delà de la première couche sur le rôle des reporters de guerre, également passionnante et juste.
On y ajoute un casting de dingue, avec des acteurs en état de grâce (qu’est ce que j’aime Kirsten Dunst), des vrais moments de bravoure filmés à hauteur d’homme, une utilisation super habile de la musique et du son (coucou les bruitages d’hélicoptères de guerre qui couvrent les discussions) et on touche le sans faute.
Annihilation avait montré les belles dispositions d’Alex Garland sur la photographie de ses films. Il reproduit d’ailleurs dans Civil War, son goût pour les chocs de couleurs au milieu de contextes gris, bétonnés et monochromes. Je retiens une superbe image de la jeune actrice Cailee Spaeny adossée à un mur rayé de 3 bandes colorées, suite à une scène de bataille urbaine. Et des comme ça il y en a plein. Là où Denis Villeneuve raconte essentiellement par l’image, Garland sert le récit avec des images fortes, près du sol et signifiantes, jamais gratuites. Très fort le Monsieur.
Bref : ultra fan de ce film. Quand le fond et la forme se confondent de cette façon au service d’un récit intelligent, pas manichéen, c’est un régal. Malheureusement Monsieur Garland a l’air de vouloir revenir vers son travail initial de scénariste, au moins pour quelques temps. J’ai quand même hâte de voir la suite de sa filmo : là il est à maturité.