L’avantage de ce générateur, c’est de distribuer grosso-modo équitablement les pièces, mais de laisser quand même la place à l’imprévisible. Autrement dit, le joueur n’a pas le sentiment d’être trahi par la machine (en distribuant toujours les même mauvaises pièces), mais celle-ci se réserve le droit de le surprendre.
Le deuxième point dont j’aimerais vous parler est le système de rotation des pièces. Ne vous êtes-vous jamais demandé comment une pièce de Tetris est censée tourner ? Bon, en réalité, le terme « système de rotation » comprend d’autres éléments de gameplay. Il vaudrait peut-être mieux renommer le terme en « comment est-ce que le joueur peut interagir avec les pièces »… mais l’autre terme est plus sexy, alors on le garde .
Les rotations en elles-mêmes ne sont pas importantes, mais c’est ce qui est autour qui l’est. Un des élément très délicat à manier est les wallkicks. Le problème vient de la question suivante « Que se passe-t-il lorsque qu’une pièce, collé contre un mur, se tourne ? ». On voit ça plus clairement avec des illustrations :
La première représente une pièce collée contre le mur (mais elle aurait pu aussi pu être bloquée par des autres pièces). La deuxième montre comment elle devrait être tournée. Évidemment, avoir une pièce encastrée contre le mur n’est pas exactement ce que le joueur attend. On pourrait juste rendre impossible un tel mouvement, mais ça limiterait trop le jeu. La solution finale est représentée par la troisième illustration : on a simplement déplacé la pièce d’une case vers la droite. Si elle avait été bloquée à droite (par une autre pièce par exemple), on l’aurait déplacée d’une case vers la droite. Si ce dernier mouvement avait également été impossible, et bien on ne la tourne pas (il ne faut pas exagérer non plus >_<).
Le système de rotation de TGM est assez restrictif, mais ne l’est pas trop. Bon d’accord, cette phrase est vraiment bancale. Mais c’est vraiment le cas ! Certaines restrictions empêchent le joueur de placer sa pièce où il veut (particulièrement en 20G), ce qui force le joueur à cogiter un minimum.
TGM est un jeu nerveux, rapide et entièrement dédié au talent du joueur. Mihara a trouvé la finalité de Tetris (placer correctement ses pièces) et par son jeu, défie le talent des joueurs. C’est pourquoi le jeu est limité est chronométré et est limité à 999 pièces posées : arrivé à ce stade, pas besoin de prouver qu’on arrive à survivre à un tel niveau, ce qu’il faut faire, c’est prouver qu’on est le meilleur en scorant le maximum de point et/ou en mettant le minimum de temps. L’aspect « compétition » est mis en avant par la présence de grade (9 à 1, puis S1 à S9, puis enfin Gm) qui permettent grosso-modo de quantifier le talent du joueur.
Mais même si TGM favorise une certaine élite d’extra-terrestres qui dépassent les 88 miles par heure, ce n’est pas un jeu fermé : ça reste un Tetris ! Pas besoin d’être un monstre pour prendre plaisir à jouer et l’amateur peut sans problème découvrir par lui-même les subtilités du jeu (évidement, avec des parties à 100 Yen, c’est autre chose que des parties à 1 ou 2 ??).
Appendice 1: Henk et Ichiro
Depuis l’expiration des contrats originaux sur Tetris en 1996, c’est The Tetris Company (ou TTC), fondé par Henk Rogers, qui détient les droits. Tout jeu qui porte le nom « Tetris » doit passer par l’approbation de la compagnie. Tout est centralisé dans un document confidentiel mis à jour annuellement qu’on appelle « The Tetris Guidelines » (« les lignes de conduite Tetris »).
La vision de Tetris de la TTC est très différente de celle de Mihara. Là où Mihara a une approche très analytique, voir hardcore gamer, la TTC voit les choses de façon beaucoup plus cool, casual.
Pour illustrer les choses, je vais prendre le cas le plus flagrant : le comportement dit « d’Infinité » (Infinity). Rappelez-vous du problème du jeu à haute vitesse : s’il n’y a pas de délai de verrouillage lorsque la pièce est posée, le jeu à haute vitesse est impossible. Bon. Dans TGM, ce délai est remis à zéro à chaque fois que la pièce retombe. Dans les jeux utilisant les règles de la TTC, ce délai est remis à zéro à chaque fois que la pièce bouge. Combiné au système de rotation très permissif, on peut en pratique placer la pièce sans limite de temps.
Rogers se défends en disant que le temps alloué au placement est un temps perdu qu’un bon joueur aurait pu mettre à profit pour faire des points. Dans le jeu en multijoueur, c’est parfaitement vrai : le mode online de Tetris DS est une véritable tuerie à ne pas me mettre entre toutes les mains en période d’examen. Le problème, c’est que la plupart des modes en solo ne pénalisent pas la perte de temps. Pour revenir à Tetris DS, son mode marathon est une vaste blague: n’importe quel joueur peut atteindre 99’999’999 points, c’est juste une affaire de patience. Et pas de talent.
Bon. Mihara et la TTC expriment une vision différente de Tetris. Maintenant, la chose qui fâche : les Guidelines imposée par la TTC deviennent de plus en plus restrictive le temps passant. Les premières règles ont sans doute été raisonnables (genre "le jeu se déroule sur une aire de jeu de 20 cases sur 10, plus 2 cases invisibles où les pièces doivent apparaître »), mais elles ont progressivement tué TGM, car les règles imposent aujourd’hui d’utiliser exclusivement les règles de rotation de la TTC (nommé SRS, « Super Rotation System »? c’est presque ironique). Ça a tué tout challenge du jeu à haute vitesse de TGM.
Pour la petite histoire, l’imposition des Guidelines a commencé à partir de TGM3 (2005). Mais à cette époque, les jeux devaient seulement inclure le SRS, pas l’utiliser. C’est ainsi que dans TGM3, il est possible de choisir entre les rotations TGM et SRS? et cette dernière à été vastement boudée par les joueurs. Par contre, pour TGM ACE, Mihara fut forcé de n’inclure que plus tard le système de rotation TGM, et encore pas complètement. Résultat, les joueurs ont préféré se tourner vers leur bon vieux TGM3 ou… faire leur propre jeu. Ce qui m’amène vers le prochain appendice.
Appendice 2: Sega, c’est plus fort que toi
Peu avant que je ne mette la touche finale à cet article, colour_thief m’a fait remarquer l’importance toute particulière qu’a eu Sega sur le développement des TGM. Voici ce qu’il a écrit.
[quote]Ma seule critique est que Sega Tetris est juste brièvement mentionné. C’est le Tetris (datant d’avant Tetris GB) qui a mis en place le délai de verrouillage et l’ARE [NdPP : laps de temps entre le verrouillage d’une pièce et la distribution de la prochaine]. Ça a permis une gravité vraiment forte et un glissement de pièce tout juste comme dans TGM. Et en plus, il dispose contrairement aux autres jeux de l’époque d’un courbe de vitesse lent-rapide-lent-rapide, similaire au mode Master [en mode Master, la courbe de vitesse est remise à zéro au niveau 200]. Les joueurs d’arcade ont vraiment accroché à ce type de Tetris. Ils ont même continué à préférer le style Sega même après la sortie des autres versions (Game Boy et autre).
Ils jouèrent pour maximiser le score… le nombre de lignes… tout ! Et quand ils ont conquis le jeu de cette manière, ils ont commencé à inventer de nouveaux challenges. Le grade secret ‹ > › de TGM [voir cette vidéo] vient en fait de cette culture de jeu Sega-esque : les joueurs ont essayé de construire cette forme en tant que challenge d’entraînement. C’est pas génial ? Même si le jeu ne permettait pas de quantifier l’avancement de leur talent (max score/lines is always just max score/lines), mais ils ont continué à jouer, focalisés sur l’avancement de leur talent à Tetris. Shimizu Tetris est un clone pour X68000 qui est sorti justement pendant cette période. Sa « customabilité » a permis de repousser aux extrêmes les frontières du Tetris. Les préfèrences les plus populaires étaient 20G et la largeur du tableau de jeu à 4. Ce qui est très similaire au mode Big de TGM. Mihara a très explicitement déclaré qu’il a pris le mode 20G de Shimizu Tetris, et il est très probable que ce dernier ait aussi inspiré le mode Big. Le mode VS de TGM, même si originellement développé pour une émission télé, utilise les mécaniques de jeu qui ont été posée avec Bloxeed. Le jeu sur PSX avec Sakura et le mode Sakura de TGM3 sont des interprétations modernes du concept de Flashpoint. Vraiment, la dette qu’à TGM à Sega Tetris et sa culture est énorme.[/quote]
Appendice 3: fan games
Heboris
Il ne faut pas sous-estimer Internet, et surtout la communauté supra-active de 2ch, un des forums japonais les plus fréquentés. Actuellement, le clone le plus abouti est Heboris. Au départ, il était conçu pour être un clone de TGM2. Mais il a la particularité d’être écrit en YGS2000 (YaneuraoGameScript 2000), un environnement très facilement moddable (on peut y aller carrément au notepad si on en a envie). On a donc prograssivement vu apparaitre des modifications ajoutant le comportement d’autres jeux. Actuellement, il est possible de simuler assez précisement TGM2, TGM3, TGM ACE, DTET (un autre Tetris non officiel mais populaire), Tetris DS? et ses modifications sont toujours en développement. Le seul problème de ce jeu est que son interface peut parfois être assez confuse. Pour y jouer, il faut télécharger Heboris, puis y appliquer la dernière mise à jour non officiel.
Lockjaw
Lockjaw est développé par Damien « tepples » Yerrick, aussi membre de tetrisoncept et un habitué de la scène homebrew. Si Heboris cherche à faire la copie carbone de Lockjaw, l’interêt de Lockjaw réside plutôt dans ses modes de jeux. C’est en fait un parfait outil pour s’entrainer sous diverses contraintes et dans différentes situations. Par contre sans skin il est moche. Si Lockjaw était un lecteur audio, ce serait sûrement foobar2000…
Conclusion
Nous voilà à la fin de cet article. Que pouvons-nous en conclure ? Plus qu’un « simple Tetris », la série TGM est un brilliant exemple de l’importance du gameplay dans un jeu-vidéo. Même si un principe de base est bon, ajouter de nouveaux éléments peut rendre un jeu chiant (l’infinité) ou au contraire le sublimer (le jeu à 20G). Il est étonnant que la TTC n’ait pas encore développé/sponsorisé une version Tetris spécialement conçue pour la compétition. Il y a pourtant du potentiel. Certes, pour le jeu solo il y a bien sûr TGM et pour le multi il y a Tetris DS. Mais le premier n’est distribué qu’au Japon et le deuxième manque d’infrastructure. Ah, si Tetris était élevé au niveau de sport électronique, au même titre que les Street Fighter, Starcraft et autre Counter-Strike ! Mais j’ai le droit de rêver non ? B)
Cette série a créé une solide communauté de joueurs au Japon. Il n’y a qu’a voir le nombre de très bon joueurs sur Tetris DS portant le tag « TGM- » dans leur nom après la sortie du jeu, ou plus simplement l’effort énorme fait sur Heboris. En Occident, le point de rassemblement est Tetrisconcept (permettez-moi de faire de la pub :P), créé par caffeine (non, pas l’ancien rédac-chef de Joystick), et maintenu en vie par une ribambelle de tetriholique (moi inclus, héhé B) ). Si vous avez des questions, n’hésitez pas à leur en poser !
J’espère vous avoir dévoilé un nouvel aspect de Tetris (autre que « le jeu avec des blocs qui tombent »), et pourquoi pas, vous avoir donné envie de vous mettre à un de ces Tetris compétitif. Ou au moins celui de ressortir votre vielle Game Boy .
[right]PetitPrince[/right]